Marie : une belle impatience qui saisit le bonheur par les ailes

LES MOTS DE FRANCE QUÉRÉ, 20 ANS APRÈS SA MORT

 

France Quéré a disparu il y a vingt ans. Ici nous reprenons les textes apparus dans Réforme en 2005, sur Marie.                             Une fenêtre vers la pensée de la théologienne protestante.

 

Marie : une belle impatience qui saisit le bonheur par les ailes :
Une jeune fille de Nazareth, Marie, est promise à Joseph, charpentier. Un ange entre chez elle et lui annonce qu’elle sera la mère du Messie dont il égrène les titres glorieux : « fils du Très-Haut », héritier du « trône de David », « roi pour l’éternité dans la maison de Jacob ».

C’est là une très grande nouvelle, mais toutes les filles d’Israël attendent avec leur nation le Messie et chacune caresse, en secret l’espoir d’être élue au cœur du peuple élu.

Quand l’ange s’adresse à Marie, il ne lui apprend donc rien qu’elle n’ait déjà beaucoup rêvé, et les mots magnifiques ne vont pas au-delà de ses songes quotidiens. La nouvelle, la seule, c’est que ce soit elle, Marie, qui ait été choisie « entre toutes les femmes » pour exaucer l’attente de tout le peuple. Voilà ce qui la comble de stupeur et de ravissement.

« Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ? » Un enfant saurait décomposer cette phrase en une proposition subordonnée : « Puisque je ne connais pas d’homme ». Cet enfant ferait bien de rappeler le peu de grammaire qu’il sait à nos vénérables savants. Car eux ont accordé le principal rôle à la subordonnée et ont négligé la principale. Ils ont démontré que tout le texte était une profession de virginité perpétuelle où Marie, très clairement, exprimait qu’elle ne se mariait que pour donner à son vœu ses plus fermes garanties ! Grattons, s’il vous plaît, l’écaille de la théologie et le vernis d’un moralisme qui invite toutes les femmes à imiter tant d’obéissance et d’effacement. Regardons Marie sans ce sourcil froncé du maître qui a déjà des intentions sur elle, et a décidé ce qu’elle serait. Regardons-la, autrement que ces vieillards autour de Suzanne, et surprenons seulement la vivacité d’une âme affolée par la joie.

Supposez que vous ayez entendu cette annonce de l’ange : « Vous serez la mère du Messie. » Vous partageriez la joie de Marie et vous attendriez patiemment que les choses suivent leurs cours : « Tu concevras » a dit l’ange, ce qui est la très ordinaire suite d’un mariage. C’est l’attitude que Marie aurait dû avoir si elle avait été d’une nature aussi soumise qu’on le dit. Car outre que l’obéissance ne fait pas la curieuse et ne pose pas de questions, elle devrait aussi accepter que l’événement survienne en son temps. L’ange ne lui a parlé qu’au futur.
Patience, que diable !

Or, voici que cette petite rouée (sauf le respect que je lui dois), dans sa hâte que cela arrive tout de suite, et surtout pas demain, crée de toute pièce l’impossibilité qui n’existerait pas si elle restait tranquillement dans la temporalité lointaine de l’ange. Le plus beau de tous les rêves, l’ange le lui a dit. S’il est pour demain, cela ne change rien à la nature d’un rêve qui est toujours dans temps autre que celui où l’on vit, et c’est comme s’il n’avait rien dit, et il s’est dérangé pour rien, avec ses grandes ailes blanches.

Dans la fièvre, Marie tire le rêve vers la réalité, quoi qu’il en coûte à la vraisemblance ainsi malmenée. Voyez comme sa réponse glisse du futur au présent : comment se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ?

Elle lui force un peu la main, à son ange, lui faisant dire ou faire plus qu’il n’en suggérait, le forçant à des explications, l’obligent surtout à dénouer une objection que l’impatience humaine crée.

« Comment cela se fera-t-il ? » La voilà, la phrase importante, qui est immense consentement à l’annonce. Non seulement elle ne tremble pas, mais elle relance et réclame plus. Assez rêvé ! Il faut que cela soit ! Son impatience emporte tout, comme une vague puissante efface les pas sur le sable. Que son père se fâche, que le fiancé se chagrine, que les voisins lapident, que le village la désigne du doigt, que sa mère pleure, rien, pas une pensée pour ceux-là, pas un regret, pas un mot. Les patriarches et leur morale barbue, elle s’en moque. Beau modèle d’obéissance que cette fille à laquelle la tradition prête à peine quinze ans.

La foi de Marie, c’est la fièvre, la hardiesse, les saintes lois profanées, un ange presque bousculé, les temps précipités par une belle impatience sauvage qui a saisi le bonheur par ses ailes et l’a offert à la terre éblouie.

 

Source: “Réforme.net” cité par “paris.catholique.fr

 

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