Colloque Famille en Communauté

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     C’est au coeur de la Suisse, sous la neige que près de 200 personnes se sont retrouvées début mars pour trois jours de travail, de partage, de prière autour du thème « Famille en communauté: l’avenir d’une utopie ? ».
Quatorze communautés de plusieurs pays et de plusieurs traditions chrétiennes étaient représentées. Des professeurs issus de diverses institutions ont accompagné notre réflexion le matin, et les après-midi étaient consacrés à des ateliers en petits groupes sur des thématiques concrètes.
Mgr-Vincenzo-Paglia

Monseigneur Paglia, Président du Conseil Pontifical pour la Famille a introduit le colloque.

 

 

Un mot sur le titre

L’association vie de famille/vie communautaire peut donner l’impression d’être une « utopie » au sens négatif, un modèle déconnecté des exigences de la vie concrète, un vieux rêve pour des chrétiens « alternatifs ».

     En réalité, il existe un lien intuitif entre vie familiale et vie communautaire : la cellule familiale comme la communauté s’épanouissent à travers un réseau de relations qui sans cesse les déborde. Le réseau familial ou communautaire dépasse les limites qui sembleraient fixer le sens strict de l’appartenance (par exemple la parenté de sang dans la famille ou l’adhésion à une règle de vie pour la communauté).
     Ce qui fait la famille ou la communauté, ce n’est pas l’étanchéité de sa frontière avec l’extérieur, c’est au contraire la souplesse qui lui donne de rester ouverte tout en préservant sa cohérence et sa vitalité.

 

Famille et vie communautaire : une nouveauté dans l’histoire ?

Marie-Françoise Baslez a souligné que les premiers chrétiens vivaient dans des « marie-francoise.baslezmaisonnées » qui comprenaient non seulement la famille nucléaire mais aussi des enfants recueillis, des veuves, des esclaves, des affranchis. La vie de la « maisonnée » se structurait autour de l’activité professionnelle et de la pratique religieuse commune. La première église n’est donc pas tellement une « paroisse » au sens d’un territoire mais elle correspond davantage à une communauté d’activité structurée autour d’une famille. Elle est un lieu d’intégration de personnes très différentes, ouvert sur l’extérieur. Cette description fait prendre un peu de hauteur par rapport à notre perception contemporaine de la famille.

Aspects bibliques

     A travers Abraham et Ulysse, figures majeures de la tradition biblique et de la littérature de la Grèce antique, Jean-Louis Ska  nous à invité à contempler deux conceptions de l’action divine. Pour Ulysse, le voyage est d’abord et avant tout un « retour à la maison » où les Dieux interviennent pour seconder ou retarder l’initiative du héros.
Dans le récit biblique, et particulièrement dans l’histoire d’Abraham, « Dieu vient à l’improviste » et propose de « quitter » le pays, la famille, la maison de ton père (Gn12,1) mais sans révéler quel est le terme du voyage. L’Appel divin est aussi radical qu’inexpliqué. Se mettre en route pour Abraham et sa famille signifie alors accepter que l’avenir soit tout entier dans les mains de Dieu.
L’approche biblique met en lumière une expérience que les familles qui choisissent de « quitter » (un ancien style de vie, une habitation etc.) pour l’aventure de la vie communautaire ont fait : l’expérience de l’appel de Dieu, d’un Dieu qui comme pour Abraham « prend les choses en mains » dès le départ. La communauté commence avec cet appel.

07 François LestangFrançois Lestang  nous a invité à regarder un couple étonnant dans les Actes et les écrits pauliens : Priscille et Aquila. Ce couple missionnaire, hospitalier et enseignant, est emblématique des premières communautés pauliniennes où les couples n’avaient pas pour seule mission le devoir conjugal et familial, mais participaient réellement à la mission de l’évangile au titre de « coopérateurs en Jésus Christ »(Rm 16,3). Pour Priscille et Aquila, entre leur métier (fabrication de « tentes » ) et l’Annonce du Christ, il y a une une sorte de « va et vient ». L’ordinaire de la vie de famille et l’extraordinaire de la mission (ils iront jusqu’à risquer leur vie) sont les deux composantes dont Dieu se sert pour nourrir et faire grandir le couple.

Dimension œcuménique

10 André Birmelé     La question de la famille en communauté vient d’une interpellation croisée de nos églises dans laquelle chacune, avec sa richesse, fait avancer l’autre. André Birmelé a rappelé que le refus des vœux monastiques par Luther au XVI è siècle, derrière l’aspect polémique, a d’abord un motif théologique et pastoral : faire « sortir » des monastères les richesses spirituelles pour les rendre accessibles au peuple des paroisses, aux familles, et aussi au clergé. Toute vie chrétienne est une vocation, c’est à dire un appel à la sainteté. C’est ce que réaffirme le Concile Vatican II du côté catholique.
     En retour, le célibat consacré (sous la forme de la vie religieuse apostolique ou monastique) qui s’est maintenu dans les églises catholiques et orthodoxes jusqu’à aujourd’hui offre des structures de vie commune, de prière partagée qui peuvent répondre à l’attente de certaines familles désireuses d’avancer sur la chemin de la radicalité. Pour le dire de manière trop brève, l’expérience des communautés nouvelles bénéficie de cette interpellation mutuelle et œcuménique des églises.

Durant ces trois jours, plusieurs communautés de différentes confessions ont partagé sur leur mode de vie. On peut citer le « Bruderhof » (Allemagne) issu de la Réforme Radicale qui a toujours cherché à maintenir des éléments de vie communautaires au sein des églises locales ; la communauté de « Jahu » liée à l’Eglise réformée de Berne (Suisse) qui rassemble aussi des familles ; la Diakoniverein (Niedblad, Suisse) où sont engagés depuis le début du siècle couples, familles, pasteurs pour réaliser diverses mission des services et qui comporte une dimension œcuménique.

La vision théologique de la famille en communauté

     La consécration du baptême se déploie généralement dans le mariage et l’approfondissement de la conjugalité. La maternité et la paternité sont alors des chemins de sainteté bien concrets et engageant toute l’existence.
     Parmi les baptisés, certains sont appelés à une autre manière de vivre la consécration du baptême. Le célibat consacré est un signe de la primauté de Dieu sur toute chose : sur toute relation, sur toute réalisation humaine, sur toute possession (pauvreté, chasteté, obéissance).
     Le sens de la vie communautaire où des familles et des célibataires font alliance se trouve dans l’apport original, irréductible que chaque forme de vie apporte à l’autre.
     Le couple et la famille ont besoin de ces témoins de la priorité radicale de Dieu pour vivre leur vie de baptisé et leur vie de famille.
Anne-Cathy Graber  nous a parlé de la lecture que faisait Luther de la virginité comme 12 Anne-Cathy Graberdépossession, désappropriation à travers la figure de Marie. Comprise au sens large la virginité concerne tout baptisé, elle signifie la disponibilité totale à l’action divine.
     De l’autre côté, le célibataire consacré reçoit des couples le témoignage d’une fidélité à Dieu et à l’autre qui s’accorde aux rythmes de la vie, qui doit sans cesse se dépasser et intégrer des transformations, notamment à travers la croissance des enfants et les étapes de la vie du couple.
     Se déploie alors un modèle pour la transformation profonde de la société : la vie communautaire est une utopie au sens positif : une sorte d’ « accélérateur » pour vivre la non puissance, sortir du repli individualiste, livrer sa vie au nom de l’Evangile.

La question juridique

« Le droit suit la vie et la vie…suit l’Esprit Saint » : la formule, lapidaire, est pleine de sagesse. Pour l’Église catholique, l’idée que des familles puissent vivre en communauté, partager leurs biens, être envoyées en mission en famille est encore une nouveauté.

 04 Giancarlo Rocca    L’intervention de Gian Carlo Rocca a montré que les canonistes et les théologiens réfléchissent depuis le début des années 60 à ces questions, mais qu’il faudra du temps pour élaborer des structures juridiques adaptées.
     A l’heure actuelle, la notion de « vie consacrée » est entièrement dépendante de la notion de célibat, voilà pourquoi il est impossible que les couples puissent faire partie d’une institution de vie consacrée (institut religieux ou institut séculier) comme membres à part entière.
Seule la structure de l’association de fidèles (privée ou publique) permet aujourd’hui à des couples et à des célibataires de vivre une certaine forme de consécration ou un type de radicalité s’approchant des conseils évangéliques. Mais en revanche la question du statut juridique des consacrés au sein de ces associations reste entière. La patience est de mise pour trouver peu à peu des structures mixtes qui permettent à chacun de trouver sa place et d’être protégé dans sa spécificité.

Enjeux pastoraux

Beaucoup de témoignages se sont succédés, avec des approches très diverses (un couple de brésiliens de la Communauté Shalom, des couples allemands et français du Chemin Neuf, mais aussi une famille d’accueil élargie en partenariat avec la communauté locale de Vinyeard, des membres de l’Arche de Jean Vanier, de Fondacio…)

     D’une manière générale, la vie communautaire fait du bien à la vitalité, à la croissance de la famille. Elle ouvre la famille à la dynamique de la Providence et est un lieu où les relations entre chaque membre de la famille s’approfondissent.
     On a souvent parlé de l’impact des temps de réconciliation communautaire sur la vie familiale : la miséricorde trouve dans la vie entre frères et sœurs des chemins d’expression qui sont parfois plus explicites que ce dont nous avons eu l’habitude en famille : on écrit une lettre, on va rencontrer un frère pour parler, on pose un geste concret de pardon.
     Dans le même temps, les couples, avec beaucoup de sincérité, ont témoigné de la manière dont la vie communautaire est venue bousculer voire bouleverser l’équilibre qui leur était propre. La communauté est alors un miroir des forces et faiblesses de chacun, entrainant le risque du repli sur soi.
     Tout l’enjeu consistera à discerner, patiemment, quelles sont les transformations « pascales » qui permettront de trouver un nouvel équilibre. Les questions sur l’éducation des enfants, sur l’autorité et la disponibilité pour la mission, le partage financier ont été abordées à différentes occasions : autant de chantiers qui sont loin d’être clos mais qui sont de véritables « sources » pour réfléchir de manière plus consciente sur nos pratiques, nos choix.

La fraternité renouvelée

Un trait caractéristique du colloque a été l’insistance sur la fraternité nouvelle qui naît entre couples et consacrés engagés dans la vie communautaire.

 11 Yola Rzeczewska    On pourrait parler d’un véritable « charisme collectif » selon Yola Rzeczewzka, un charisme qui n’est pas donné à une personne singulière mais à un groupe d’individus qui l’accueillent et l’exercent pour autant qu’ils font « corps ».
La vie religieuse et la vie de famille mûrissent au contact l’une de l’autre. Cette relation tissée au fil du temps porte un fruit de fraternité, de charité concrète qui interpelle plus que jamais nos contemporains.

Source: chemin-neuf.frLes vidéo des interventions sont visibles sur: https://www.youtube.com/playlist?list=PLQplzPsSqWikPFFiObTe4zq9OON5qqJ8q

Intervenants à ce congrès:

  • Marie-Françoise Baslez, Paris (France), Faculté d’Histoire Paris IV-Sorbonne, Faculté jésuite de théologie de Paris (Centre Sèvres). Spécialiste de la sociologie religieuse des premiers siècles chrétiens.
  • Pasteur André Birmelé, directeur de l’École doctorale de théologie et de sciences religieuses à la Faculté de Théologie Protestante de Strasbourg (Université de Strasbourg, France), Académie Internationale des Sciences Religieuses,  Foi et Constitution (COE) Il fut l’un des co-auteurs de la Déclaration commune sur la doctrine de la justification signée le 31 Octobre 1999 par l’Eglise catholique et la Fédération luthérienne mondiale.
    Véronique et Gilles Cormier, ccn, Lyon (France), Cana International
    Catherine et Pierre-Yves Denis, ccn, Levallois (France)
    Marie-Noëlle et Yves Gélébart , ccn, Tigery (France)
    Pasteure Anne-Cathy Graber, ccn, Paris (France) pasteur mennonite itinérant, célibataire consacré.Elle est membre du Groupe des Dombes et représente la Conférence mennonite mondiale sur le comité du Forum mondial de Christian. Centre Mennonite de Paris, Docteur en Théologie (doctorat de théologie mariale à l’Université de Strasbourg)
    Père François Lestang, ccn, Abbaye des Dombes (Institut de Théologie des Dombes (ITD) (France)) Secrétaire régional de l’Association catholique française pour l’étude de la Bible, directeur des programmes de doctorat à la Faculté de Théologie de l’ Université Catholique de Lyon,
    Mgr Vincenzo Paglia, archevêque, Rome (Italie), Président du Conseil Pontifical pour la Famille
    Vola Rzeczewska , ccn,  Londres (UK) Docteur en Droit Canon
    Giancarlo Rocca, San Paolo, Rome (Italie) Faculté d’Histoire, Université Pontificale Grégorienne
    Père Jean-Louis Ska, sj, Rome (Italie) Faculté de Théologie, Institut Biblique Pontifical
    Michelina Tenace , Centra Aletti, Rome (Italie) Université Pontificale Grégorienne, doctorat en théologie à l’Université Pontificale Grégorienne. Elle y enseigne la dogmatique à la Grégorienne.
    Père Etienne Veto, ccn, Rome (Italie) agrégé de philosophie et docteur en théologie Faculté de Théologie, Université Pontificale Grégorienne

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