La querelle des indulgences: les 95 thèses de Luther

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La querelle des Indulgences

 Affaire de conscience, affaire « d’Etat » ?

A la veille de la Toussaint 1517, Martin Luther, moine augustin, affiche ,ou n’affiche pas d’ailleurs, peu importe, ses thèses sur le « babillard », à côté de la porte de l’église du château de Wittenberg. Ce n’est pas un geste de provocation, c’est un affichage normal, pour une controverse, une « disputatio » : Carlstadt,quelques mois avant lui, avait fait de même. Luther donc souhaite engager un débat public. Il adresse, dans le même temps, un courrier à l’Archevêque Albert de Brandebourg, demandant que les prédicateurs modifient leurs pratiques :

« (…) Vénérable Père en Christ, illustre Prince… Que Votre Grandeur, me pardonne, si moi, le plus vil des hommes, j’ai la témérité de Lui écrire … Les Indulgences Papales sont colportées dans le pays sous le Nom de Votre Grandeur pour la construction de Saint Pierre … Je déplore les fausses idées que ces prédicateurs répandent partout. Ces malheureuses âmes se figurent que, si elles achètent des lettres d’indulgences, elles sont sûres de leur salut… C’est ainsi que les âmes confiées à vos soins … apprennent à marcher vers la mort … C’est pourquoi je ne puis me taire plus longtemps … Votre Grandeur pourra prendre connaissance de mes thèses ci-jointes. Elle verra combien la doctrine des Indulgences est discutable. »

L’Eglise Institution et le moine augustin  considèrent l’affaire des indulgences de deux points de vue différents. La première défend la pratique courante, ce que l’on peut appeler la tradition remontant dans l’ensemble au Moyen Age. Luther quant à lui se place du point de vue de l’Ecriture Sainte dont il est « lecteur » et montre la distorsion existant entre la pratique et la réalité scripturaire. Dès le début  de l’affaire, on ressent  comme un malentendu. C’est donc cette  dispute, cette controverse, bref cette querelle  qui va propulser Luther sur le devant de la scène politico-religieuse de son temps, car ses thèses vont  rapidement trouver  écho dans toute l’Allemagne et plus loin encore. L’affaire va donc être en quelque sorte « médiatisée ».

L’indulgence, rachat de la pénitence…

C’est dans la seconde partie du XI e siècle qu’apparaît la pratique de l’indulgence. Elle est en relation avec la pratique de la pénitence. Cette dernière était publique pour les fautes publiques et privée pour les fautes privées. C’est à partir du IX e siècle que la pratique de la pénitence privée prévaut. C’est le Concile de Latran en 1215  qui en décide ainsi en instituant officiellement la confession sacramentelle. Le fondement théologique de l’Indulgence est le pouvoir des clefs. Cela suppose que les successeurs de Pierre peuvent utiliser, en faveur des vivants et des morts, le Trésor infini des grâces acquises par la Passion du Christ et les mérites des Saints. Cette doctrine, qui n’apparaît pas dans les premiers siècles de l’Eglise, s’élabore peu à peu avec Alexandre de Halés (1180-1245), Bonaventure (12221-1274) Thomas d’Aquin (1224-1274).

Ce dernier distingue dans le péché un double élément : un élément matériel et un élément formel. Le premier est la concupiscence dont parle déjà Augustin, et le second est la privation de la grâce sanctifiante. Le péché en conséquence est puni ( pénitence) par une double peine, si l’on peut ainsi s’exprimer : une peine matérielle, temporelle : pena, et une peine spirituelle culpa. Thomas d’Aquin, à la suite de Pierre Lombard le maître des Sentences, divisait la pénitence  en trois parties : la contrition, la confession ,la satisfaction . Luther reviendra sur ces notions dans son Sermon sur l’Indulgence et la Grâce. Le « privilège de l’Indulgence » porte sur la satisfaction :pena . Prières, jeûnes et aumônes dispensent en quelque sorte de la peine temporelle. Mais la peine spirituelle, culpa, reste affaire d’absolution.

Or, au fur et à mesure  que le temps passe, ( X e siècle et Croisades) un glissement se fait de manière insensible, on passe de la commutation de la peine à la rémission de cette même peine. La Papauté,quant à elle, déclare que l’indulgence qu’elle proclame relève le pécheur de toute sa faute . Cette opinion n’est pas partagée par tous les Docteurs de l’Eglise et la question reste ouverte. Cependant la grande majorité des fidèles, ignorante des subtilités théologiques, pense que l’indulgence Papale remet la totalité de la peine. Peu de prédicateurs, il est vrai, l’en dissuadent. Les choses vont se compliquer lorsque Sixte IV(1471-1484) en 1476 va permettre l’assimilation entre prière et versement d’argent.

L’affaire se déclenche en 1517. Jules II, un Pape Médicis, ( 1503-1513), amoureux des Lettres et des Arts, grand Mécène,  décrète une Indulgence pour la construction de Saint Pierre de Rome en 1507. Cette Indulgence sera confirmée par son successeur Léon X en 1511, et en 1515 (Indulgence du Jubilé : Année Sainte tous les cinquante ans). L’Indulgence du jubilé a donné lieu a une abondante littérature, en particulier de Paltz, un des maîtres de Luther. Dans son travail, intitulé coelifodina, il distingue pour sa part entre le sacrement de pénitence qui réconcilie avec Dieu et l’Indulgence qui libère des peines. Le jubilé, pour lui, remet culpa et pena. L’absolution est donnée au nom de l’autorité pontificale. Il est bien entendu que le « pécheur » est repentant ! Ainsi donc, d’après Paltz, le jubilé accorde une triple absolution, celle de la faute (culpa), celle des peines canoniques (peines d’Eglise pena ), et  peines temporelles, au Nom de Dieu. Cette manière d’annoncer l’Indulgence, pour le maître de Luther, était une forme « d’évangélisation » puisque les pécheurs se convertissaient, à l’annonce de l’Indulgence.

Luther et les Augustins connaissaient  bien le problème, puisque leur protecteur, le Duc de Saxe (Frédéric III), avait sa propre collection de reliques valant Indulgences, qu’il exposait dans l’Eglise du château, spécialement bâtie pour elles ! (Stiftskirche) . Son catalogue mentionnait 17443 « reliques particules » conférant 127 799 années d’Indulgence et quelques jours ! La plus précieuse de ces reliques était une épine de la couronne du Christ, offerte à Rodolphe de Saxe par Philippe VI..  De plus depuis 1398, Wittenberg ( Château- Résidence de l’Electeur de Saxe depuis 1422), possédait le privilège d’accorder l’Indulgence plénière de la Portioncule ou Pardon d’Assises, à tous ceux qui verseraient une offrande le jour de la Toussaint, après s’être confessés. Ce Pardon avait été accordé, dans un premier temps en 1211,par Honorius III à la première maison franciscaine près d’Assises .

En Allemagne du Nord, puisque c’est ici que se cristallise le problème, c’est à l’Archevêque de Mayence, Albert de Brandebourg( un Hohenzollern, frère du Margrave de Brandebourg, Joachim Ier), qu’est confiée la charge de l’Indulgence Papale. En effet, beaucoup d’Etats Allemands avaient refusé que cette Indulgence soit « prêchée » sur leur territoire. La Curie Romaine, pour convaincre Albert, lui avait proposé 50% de la recette, s’il se chargeait de la « vente » sur ses terres. Albert de Brandebourg, 27 ans en 1517, cumulait l’évêché d’Halberstadt (il en était administrateur depuis Septembre 1513), l’archevêché de Magdebourg( dont il était titulaire depuis le 30 Août 1513) et l’Archevêché de Mayence ( depuis Mars 1514). Cet Archevêché conférait à son titulaire la charge de chancelier d’Empire, c’est à dire qu’il était, en quelque sorte, chef de l’Eglise Allemande, Primat de Germanie. Pour cela il recevait le Pallium, bande de laine blanche bordée de six croix noires, que l’on porte autour du cou. La laine qui composait ce vêtement venait des agneaux bénis en l’église Sainte -Agnès -hors -les -murs (à Rome). Ce pallium était porté par le Pape, et par les Archevêques éminents, en signe de participation à l’autorité pontificale. Le Pape Léon X avait accepté ce cumul irrégulier de trois charges épiscopales, moyennant une lourde taxe, 21OOO florins, que l’archevêque avait empruntés aux banquiers Fugger (20% d’intérêt ! ) . Le comptoir des Fugger était au début du XVI e siècle la banque des princes et des hauts dignitaire ecclésiastiques allemands. On voit ici un glissement subtil, puisque les agents de la maison Fugger (combinaison ou arrangement financier du 14 février 1516) devaient accompagner le moine dominicain Tetzel, sous -commissaire à l’Indulgence, et prélever directement sur la recette !

Tetzel (1465-1519) avait déjà été sous- commissaire pour la prédication d’une Indulgence au profit des chevaliers Teutoniques au début du siècle. Il n’en était donc pas à ses débuts. Il semble partisan d’une méthode pour le moins abrupte et simpliste : toutes les fois, déclare- t-il en substance, qu’une pièce tombe dans l’ escarcelle, une âme s’envole du purgatoire ! ( Sobald das Geld im Kasten klingt, Die Seel’aus dem Fegfeuer springt! ). C’est faire peu de cas    et de l’Indulgence elle-même et du repentir des fidèles. D’ailleurs cette manière de procéder avait été condamnée en son temps par la  décrétale Abusionibus en 1312,  et en Sorbonne  en 1482.On voit qu’il n’y a là rien de nouveau. En fait, Tetzel offrait, au nom d’Albert de Mayence, quatre grâces principales.

    1. La première se décomposait en : Plenaria remissio omnium pecatorum, c’est à dire la rémission plénière de tous les péchés, puis la rémission plénière des peines temporelles ainsi que celles devant être subies au purgatoire : Poenae in purgatorio  luendae plenissime remittuntur. Bien sûr pour obtenir ces « rémissions » il fallait être contrit,  et s’être confessé.
    1. Tetzel offrait aussi une deuxième grâce, le confessionale c’est à dire le droit de choisir un confesseur et d’en recevoir deux fois l’absolution, ainsi qu’une Indulgence plénière. Cette grâce permettait aussi d’être délié d’ un vœu, trop hâtivement prononcé.
    1. Il proposait ensuite la participation à tous les biens spirituels de l’Eglise et, enfin,
    1. l’indulgence plénière pour les âmes du Purgatoire.

 

Les thèses de Luther.

 

Rédigées en Latin (donc destinées avant tout aux théologiens, lettrés…) les thèses sont sous le signe du paradoxe. Violentes par la forme, mais modérées par le fond, elles ne se veulent pas des thèses de rupture, ni de réforme de l’Eglise. Elles ne contiennent pas d’attaques virulentes contre la Papauté. Elles soutiennent, par contre, que les Indulgences n’ont pas la vertu de justifier les pécheurs. Seul Dieu peut accorder le Salut et remettre les peines. C’est donc par la Pénitence et la Charité que l’on arrive au Salut. Martin Luther prêche donc un vrai repentir, une vraie conversion. Il semble qu’il n’y ait là rien d’extraordinaire, d’autres avant lui avaient tenu ce discours. Mais l’on sent chez le moine Augustin comme un sentiment tragique du péché. Son souci permanent est le salut des âmes.

“Par amour pour la vérité et dans le but de la préciser, les thèses suivantes seront soutenues à Wittemberg, sous la présidence du Révérend Père Martin Luther, ermite augustin, maître es Arts, docteur et lecteur de la Sainte Théologie. Celui-ci prie ceux qui, étant absents, ne pourraient discuter avec lui, de vouloir bien le faire par lettres.
Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ.
Amen.”

  1. En disant : Faites pénitence, notre Maître et Seigneur Jésus-Christ a voulu que la vie entière des fidèles fût une pénitence.
  2. Cette parole ne peut pas s’entendre du sacrement de la pénitence, tel qu’il est administré par le prêtre, c’est-à-dire de la confession et de la satisfaction.
  3. Toutefois elle ne signifie pas non plus la seule pénitence intérieure ; celle-ci est nulle, si elle ne produit pas au-dehors toutes sortes de mortifications de la chair.
  4. C’est pourquoi la peine dure aussi longtemps que dure la haine de soi-même, la vraie pénitence intérieure, c’est-à-dire jusqu’à l’entrée dans le royaume des cieux.
  5. Le pape ne veut et ne peut remettre d’autres peines que celles qu’il a imposées lui-même de sa propre autorité ou par l’autorité des canons.
  6. Le pape ne peut remettre aucune peine autrement qu’en déclarant et en confirmant que Dieu l’a remise ; à moins qu’il ne s’agisse des cas à lui réservés. Celui qui méprise son pouvoir dans ces cas particuliers reste dans son péché.
  7. Dieu ne remet la coulpe à personne sans l’humilier, l’abaisser devant un prêtre, son représentant.
  8. Les canons pénitentiels ne s’appliquent qu’aux vivants ; et d’après eux, rien ne doit être imposé aux morts.
  9. Voilà pourquoi le pape agit selon le Saint-Esprit en exceptant toujours dans ses décrets l’article de la mort et celui de la nécessité.
  10. Les prêtres qui, à l’article de la mort, réservent pour le Purgatoire les canons pénitentiels, agissent mal et d’une façon inintelligente.
  11. La transformation des peines canoniques en peines du Purgatoire est une ivraie semée certainement pendant que les évêques dormaient.
  12. Jadis les peines canoniques étaient imposées non après, mais avant l’absolution, comme une épreuve de la véritable contrition.
  13. La mort délie de tout ; les mourants sont déjà morts aux lois canoniques, et celles-ci ne les atteignent plus.
  14. Une piété incomplète, un amour imparfait donnent nécessairement une grande crainte au mourant. Plus l’amour est petit, plus grande est la terreur.
  15. Cette crainte, cette épouvante suffit déjà, sans parler des autres peines, à constituer la peine du Purgatoire, car elle approche le plus de l’horreur du désespoir.
  16. Il semble qu’entre l’Enfer, le Purgatoire et le Ciel il y ait la même différence qu’entre le désespoir, le quasi-désespoir et la sécurité.
  17. Il semble que chez les âmes du Purgatoire l’Amour doive grandir à mesure que l’horreur diminue.
  18. Il ne paraît pas qu’on puisse prouver par des raisons, ou par les Ecritures que les âmes du Purgatoire soient hors d’état de rien mériter ou de croître dans la charité.
  19. Il n’est pas prouvé non plus que toutes les âmes du Purgatoire soient parfaitement assurées de leur béatitude, bien que nous-mêmes nous en ayons une entière assurance.
  20. Donc, par la rémission plénière de toutes les peines, le Pape n’entend parler que de celles qu’il a imposées lui-même, et non pas toutes les peines en général.
  21. C’est pourquoi les prédicateurs des Indulgences se trompent quand ils disent que les indulgences du Pape délivrent l’homme de toutes les peines et le sauvent.
  22. Car le Pape ne saurait remettre aux âmes du Purgatoire d’autres peines que celles qu’elles auraient dû souffrir dans cette vie en vertu des canons.
  23. Si la remise entière de toutes les peines peut jamais être accordée, ce ne saurait être qu’en faveur des plus parfaits, c’est-à-dire du plus petit nombre.
  24. Ainsi cette magnifique et universelle promesse de la rémission de toutes les peines accordées à tous sans distinction, trompe nécessairement la majeure partie du peuple.
  25. Le même pouvoir que le Pape peut avoir, en général, sur le Purgatoire, chaque évêque le possède en particulier dans son diocèse, chaque pasteur dans sa paroisse.
  26. Le Pape fait très bien de ne pas donner aux âmes le pardon en vertu du pouvoir des clefs qu’il n’a pas , mais de le donner par le mode de suffrage.
  27. Ils prêchent des inventions humaines, ceux qui prétendent qu’aussitôt que l’argent résonne dans leur caisse, l’âme s’envole du Purgatoire.
  28. Ce qui est certain, c’est qu’aussitôt que l’argent résonne, l’avarice et la rapacité grandissent. Quant au suffrage de l’Eglise, il dépend uniquement de la bonne volonté de Dieu.
  29. Qui sait si toutes les âmes du Purgatoire désirent être délivrées, témoin de ce qu’on rapporte de Saint Séverin et de Saint Paul Pascal.
  30. Nul n’est certain de la vérité de sa contrition ; encore moins peut-on l’être de l’entière rémission.
  31. Il est aussi rare de trouver un homme qui achète une vraie indulgence qu’un homme vraiment pénitent.
  32. Ils seront éternellement damnés avec ceux qui les enseignent, ceux qui pensent que des lettres d’indulgences leur assurent le salut.
  33. On ne saurait trop se garder de ces hommes qui disent que les indulgences du Pape sont le don inestimable de Dieu par lequel l’homme est réconcilié avec lui.
  34. Car ces grâces des indulgences ne s’appliquent qu’aux peines de la satisfaction sacramentelle établies par les hommes.
  35. Ils prêchent une doctrine antichrétienne ceux qui enseignent que pour le rachat des âmes du Purgatoire ou pour obtenir un billet de confession, la contrition n’est pas nécessaire.
  36. Tout chrétien vraiment contrit a droit à la rémission entière de la peine et du péché, même sans lettre d’indulgences.
  37. Tout vrai chrétien, vivant ou mort, participe à tous les biens de Christ et de l’Eglise, par la grâce de Dieu, et sans lettres d’indulgences.
  38. Néanmoins il ne faut pas mépriser la grâce que le Pape dispense ; car elle est, comme je l’ai dit, une déclaration du pardon de Dieu.
  39. C’est une chose extraordinairement difficile, même pour les plus habiles théologiens, d’exalter en même temps devant le peuple la puissance des indulgences et la nécessité de la contrition.
  40. La vraie contrition recherche et aime les peines ; l’indulgence, par sa largeur, en débarrasse, et à l’occasion, les fait haïr.
  41. Il faut prêcher avec prudence les indulgences du Pape, afin que le peuple ne vienne pas à s’imaginer qu’elles sont préférables aux bonnes oeuvres de la charité.
  42. Il faut enseigner aux chrétiens que dans l’intention du Pape, l’achat des indulgences ne saurait être comparé en aucune manière aux oeuvres de miséricorde.
  43. Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui donne aux pauvres ou prête aux nécessiteux fait mieux que s’il achetait des indulgences.
  44. Car par l’exercice même de la charité, la charité grandit et l’homme devient meilleur. Les indulgences au contraire n’améliorent pas ; elles ne font qu’affranchir de la peine.
  45. Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui voyant son prochain dans l’indigence, le délaisse pour acheter des indulgences, ne s’achète pas l’indulgence du Pape mais l’indignation de Dieu.
  46. Il faut enseigner aux chrétiens qu’à moins d’avoir des richesses superflues, leur devoir est d’appliquer ce qu’ils ont aux besoins de leur maison plutôt que de le prodiguer à l’achat des indulgences.
  47. Il faut enseigner aux chrétiens que l’achat des indulgences est une chose libre, non commandée.
  48. Il faut enseigner aux chrétiens que le Pape ayant plus besoin de prières que d’argent demande, en distribuant ses indulgences plutôt de ferventes prières que de l’argent.
  49. Il faut enseigner aux chrétiens que les indulgences du Pape sont bonnes s’ils ne s’y confient pas, mais des plus funestes, si par elles, ils perdent la crainte de Dieu.
  50. Il faut enseigner aux chrétiens que si le Pape connaissait les exactions des prédicateurs d’indulgences, il préfèrerait voir la basilique de Saint-Pierre réduite en cendres plutôt qu’édifiée avec la chair, le sang, les os de ses brebis.
  51. Il faut enseigner aux chrétiens que le Pape, fidèle à son devoir, distribuerait tout son bien et vendrait au besoin l’Eglise de Saint-Pierre pour la plupart de ceux auxquels certains prédicateurs d’indulgences enlèvent leur argent.
  52. Il est chimérique de se confier aux indulgences pour le salut, quand même le commissaire du Pape ou le Pape lui-même y mettraient leur âme en gage.
  53. Ce sont des ennemis de Christ et du Pape, ceux qui à cause de la prédication des indulgences interdisent dans les autres églises la prédication de la parole de Dieu.
  54. C’est faire injure à la Parole de Dieu que d’employer dans un sermon autant et même plus de temps à prêcher les indulgences qu’à annoncer cette Parole.
  55. Voici quelle doit être nécessairement la pensée du Pape ; si l’on accorde aux indulgences qui sont moindres, une cloche, un honneur, une cérémonie, il faut célébrer l’Evangile qui est plus grand, avec cent cloches, cent honneurs, cent cérémonies.
  56. Les trésors de l’Eglise, d’où le Pape tire ses indulgences, ne sont ni suffisamment définis, ni assez connus du peuple chrétien.
  57. Ces trésors ne sont certes pas des biens temporels ; car loin de distribuer des biens temporels, les prédicateurs des indulgences en amassent plutôt.
  58. Ce ne sont pas non plus les mérites de Christ et des saints ; car ceux-ci, sans le Pape, mettent la grâce dans l’homme intérieur, et la croix, la mort et l’enfer dans l’homme intérieur.
  59. Saint Laurent a dit que les trésors de l’Eglise sont ses pauvres. En cela il a parlé le langage de son époque.
  60. Nous disons sans témérité que ces trésors, ce sont les clefs données à l’Eglise par les mérites du Christ.
  61. Il est clair en effet que pour la remise des peines et des cas réservés, le pouvoir du Pape est insuffisant.
  62. Le véritable trésor de l’Eglise, c’est le très-saint Evangile de la gloire et de la grâce de Dieu.
  63. Mais ce trésor est avec raison un objet de haine car par lui les premiers deviennent les derniers.
  64. Le trésor des indulgences est avec raison recherché ; car par lui les derniers deviennent les premiers.
  65. Les trésors de l’Evangile sont des filets au moyen desquels on pêchait jadis des hommes adonnés aux richesses.
  66. Les trésors des indulgences sont des filets avec lesquels on pêche maintenant les richesses des hommes.
  67. Les indulgences dont les prédicateurs vantent et exaltent les mérites ont le très grand mérite de rapporter de l’argent.
  68. Les grâces qu’elles donnent sont misérables si on les compare à la grâce de Dieu et à la piété de la croix.
  69. Le devoir des évêques et des pasteurs est d’admettre avec respect les commissaires des indulgences apostoliques.
  70. Mais c’est bien plus encore leur devoir d’ouvrir leurs yeux et leurs oreilles, pour que ceux-ci ne prêchent pas leurs rêves à la place des ordres du Pape.
  71. Maudit soit celui qui parle contre la vérité des indulgences apostoliques.
  72. Mais béni soit celui qui s’inquiète de la licence et des paroles impudentes des prédicateurs d’indulgences.
  73. De même que le Pape excommunie justement ceux qui machinent contre ses indulgences,
  74. Il entend à plus forte raison excommunier ceux qui, sous prétexte de défendre les indulgences, machinent contre la sainte charité et contre la vérité.
  75. C’est du délire que d’exalter les indulgences du Pape jusqu’à prétendre qu’elles délieraient un homme qui, par impossible, aurait violé la mère de Dieu.
  76. Nous prétendons au contraire que, pour ce qui est de la coulpe, les indulgences ne peuvent pas même remettre le moindre des péchés véniels.
  77. Dire que Saint Pierre, s’il était Pape de nos jours, ne saurait donner des grâces plus grandes, c’est blasphémer contre Saint Pierre et contre le Pape.
  78. Nous disons au contraire que lui ou n’importe quel pape possède des grâces plus hautes, savoir : l’Evangile, les vertus, le don des guérisons, etc…(d’après 1 Cor. 12).
  79. Dire que la croix ornée des armes du Pape égale la croix du Christ, c’est un blasphème.
  80. Les évêques, les pasteurs, les théologiens qui laissent prononcer de telles paroles devant le peuple en rendront compte.
  81. Cette prédication imprudente des indulgences rend bien difficile aux hommes même les plus doctes, de défendre l’honneur du Pape contre les calomnies ou même contre les questions insidieuses des laïques.
  82. Pourquoi, disent-ils, pourquoi le Pape ne délivrent-ils pas d’un seul coup toutes les âmes du Purgatoire, pour les plus justes des motifs, par sainte charité, par compassion pour leurs souffrances, tandis qu’il en délivre à l’infini pour le motif le plus futile, pour un argent indigne, pour la construction de sa basilique ?
  83. Pourquoi laisse-t-il subsister les services et les anniversaires des morts ? Pourquoi ne rend-il pas ou ne permet-il pas qu’on reprenne les fondations établies en leur faveur, puisqu’il n’est pas juste de prier pour les rachetés.
  84. Et encore : quelle est cette nouvelle sainteté de Dieu et du Pape que, pour de l’argent, ils donnent à un impie, à un ennemi le pouvoir de délivrer une âme pieuse et aimée de Dieu, tandis qu’ils refusent de délivrer cette âme pieuse et aimée, par compassion pour ses souffrances, par amour et gratuitement ?
  85. Et encore : pourquoi les canons pénitentiels abrogés de droit et éteints par la mort se rachètent-ils encore pour de l’argent, par la vente d’une indulgence, comme s’ils étaient encore en vigueur ?
  86. Et encore : pourquoi le Pape n’édifie-t-il pas la basilique de Saint-Pierre de ses propres deniers, plutôt qu’avec l’argent des pauvres fidèles, puisque ses richesses sont aujourd’hui plus grandes que celles de l’homme le plus opulent ?
  87. Encore : pourquoi le Pape remet-il les péchés ou rend-il participants de sa grâce ceux qui par une contrition parfaite ont déjà obtenu une rémission plénière et la complète participation à ces grâces ?
  88. Encore : ne serait-il pas d’un plus grand avantage pour l’Eglise, si le Pape, au lieu de distribuer une seule fois ses indulgences et ses grâces, les distribuait cent fois par jour et à tout fidèle ?
  89. C’est pourquoi si par les indulgences le Pape cherche plus le salut des âmes que de l’argent, pourquoi suspend-il les lettres d’indulgences qu’il a données autrefois, puisque celles-ci ont même efficacité ?
  90. Vouloir soumettre par la violence ces arguments captieux des laïques, au lieu de les réfuter par de bonnes raisons, c’est exposer l’Eglise et le Pape à la risée des ennemis et c’est rendre les chrétiens malheureux.
  91. Si, par contre, on avait prêché les indulgences selon l’esprit et le sentiment du Pape, il serait facile de répondre à toutes ces objections ; elles n’auraient pas même été faites.
  92. Qu’ils disparaissent donc tous, ces prophètes qui disent au peuple de Christ : « Paix, paix » et il n’y a pas de paix !
  93. Bienvenus au contraire les prophètes qui disent au peuple de Christ : « Croix, croix » et il n’y a pas de croix !
  94. Il faut exhorter les chrétiens à s’appliquer à suivre Christ leur chef à travers les peines, la mort et l’enfer.
  95. Et à entrer au ciel par beaucoup de tribulations plutôt que de se reposer sur la sécurité d’une fausse paix.

 

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