Frat politique: Berlin: chemins de réconciliation

 

 

Tandis que l’aurore peine à dissiper le brouillard, ce samedi 4 février 2017, une soixantaine de jeunes bravent prudemment le froid pour découvrir la ville. Curieux groupe que le leur : ils sont de 13 nationalités d’Afrique, d’Orient, d’Europe centrale et occidentale ; ils sont étudiants ou jeunes professionnels de toutes formations ; ils sont catholiques, luthériens, évangéliques, aux opinions diverses. Si beaucoup d’entre eux habitent en France, ils se retrouvent deux jours à Berlin… drôle d’idée à première vue.

Ils sont rassemblés au nom de la Fraternité Politique du Chemin Neuf, dernière-née de la Communauté. Leur désir commun de s’engager pour le bien commun, se place ici sous le sceau de l’unité, si nécessaire en politique. On entend parfois dire que le développement matériel en Europe ne s’est pas accompagné d’un développement spirituel, tel que les Pères de l’Europe l’espéraient. En se faisant attentive à l’Esprit, la jeune Fraternité essaie entre autres de répondre à cet enjeu. Il n’y avait pas de plan élaboré a priori, mais en reprenant ma plume pour essayer de comprendre ce qu’il s’est passé, j’observe comme un besoin de poser la main sur les plaies du corps meurtri du Christ.

 

Berlin, en effet, est sans doute la ville d’Europe qui porte le plus manifestement les cicatrices du dernier siècle : capitale du totalitarisme nazi, bombardée durant la guerre, partagée entre les Alliés, brutalement reconstruite, défigurée par le mur, la ville devient le symbole de la division est-ouest. Un véritable couloir de mort, plaie béante de béton abandonnée aux miradors et aux chiens errants, court entre les quartiers. En 1989, le mur tombe ; l’année suivante, l’Allemagne est réunifiée ; la ville blessée cicatrise ; au cœur de l’Europe, l’Allemagne et Berlin prospèrent. Près de trente ans plus tard, nous venons sur ces lieux à la manière d’un chemin de croix.

 

Notre première station est le Bundestag : ce bâtiment, où le Parlement est retourné en 1999 après qu’il a été agrandi sur le no man’s land de part et d’autre de la Spree, est un symbole de la réunification. Nous y rencontrons Wolfgang Thierse, un catholique qui a grandi dans la RDA avant de devenir président du Bundestag, l’une des plus hautes fonctions de l’état. Derrière la langue gutturale de nos cousins germains, nous découvrons un homme enflammé, communicatif dans ses gestes et son ton. Une chance pour nous de rencontrer un homme avec une stature politique, une vision et un engagement authentiques. L’occasion aussi de parler de la place de la foi chez les représentants politiques, plus facilement revendiquée en Allemagne qu’en France. Les députés chrétiens ont aussi des lieux de rencontre qui peuvent devenir des facilitateurs dans les conflits politiques. Notre « pèlerinage » nous mène à la chapelle des parlementaires, qui peut servir aux protestants comme aux catholiques, voire aux musulmans ou juifs. Lieu de calme et d’intériorité au cœur des arènes politiques, elle est décorée de panneaux qui évoquent avec la sobriété du sable et l’âpreté du clou la passion et la résurrection du Christ.

Ce premier témoignage de l’unité entre spiritualité et activité se prolonge avec la rencontre de Simone Wenzler dans une paroisse voisine. Cette femme travaille dans un ministère et nous témoigne de la condition chrétienne de mettre en tension ; tension que l’on pourrait nommer espérance, entre l’assurance que le Christ est déjà vainqueur et la permanence du péché ; tension qui se traduit dans nos choix quotidiens quant à l’argent, à la tolérance, à la réussite, à l’emploi du temps… mais voilà justement le temps, dans cette quête d’équilibre, de vivre la messe dominicale, accompagnée d’une démarche de réconciliation, afin de faire pénétrer le travail d’unité entre nous et dans nos cœurs. La soirée se terminera dans la joie et la bonne humeur pour profiter aussi de la ville vivante.

 

Dimanche, notre deuxième station répond à une autre plaie qui a déchiré l’Europe : le schisme de la Réforme, dont nous commémorons les 500 ans cette année. Cette division aussi a traversé l’Allemagne après que les thèses publiées par Luther à Wittemberg aient essaimé dans tout le pays. Depuis ce temps, les deux confessions cohabitent, parfois violemment, de manière plus constructive depuis plusieurs années. Dans cette Allemagne propice à l’œcuménisme, nous avons pu prendre part au culte dans une paroisse protestante. Cette paroisse est aussi immédiate voisine du mémorial du mur de Berlin, qui constitue notre troisième station. Ce lieu de mort que j’ai déjà décrit, nous avons pu y prier ; confier devant ce reste de mur tous les murs qui existent encore ; et entrer dans la bien-nommée église de la Réconciliation qui trompait jusqu’en 1985 l’aridité des abords du Mur. N’y tenant plus d’avoir ce clocher comme une épine dans le pied, le gouvernement l’avait finalement dynamitée, et une nouvelle église a été rebâtie depuis. Enfin, un pasteur nous racontait encore quel miracle avait été la chute du Mur, défait d’abord dans les cœurs grâce aux prières et aux manifestations pacifiques d’octobre 1989.

 

À l’heure où la politique est souvent signe de division, la Frat’ veut réunir, entre les opinions, les confessions, les nations, nos propres aspirations : c’est là toute la pertinence de lire spirituellement une ville telle que Berlin.

PIERRE DOHET – FOI N° 52

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