Après l’assemblée des évêques catholiques à Lourdes : le chagrin et la pitié.

Mars 2023

  Alors que vient de se terminer l’assemblée des évêques catholique à Lourdes, je suis saisi par une colère sourde en lisant le rapport final d’Éric de Moulin-Beaufort, président de l’assemblée des Evêques de France.
Neuf groupes de travail constitué de façon plurielle avec au moins un témoin-victime d’abus sexuel de la part de membre du clergé, et au moins un évêque. Selon les termes mêmes du site de la cef : « On pourrait presque dire que c’est l’unique objectif des groupes de travail : faire émerger des propositions concrètes ! »
Et des propositions concrètes ont été proposées aux évêques présents.
Mais le compte-rendu des décisions nous chante une toute autre chanson : les deux tiers des propositions sont renvoyées vers des comité d’experts (qui seront constitués de clercs). De plus, « les propositions visant à associer un groupe stable de fidèles prêtres ou diacres ou laïcs ou consacrées et consacrés tant à l’assemblée plénière qu’au conseil permanent n’ont pas été retenues. ».
Au final les laïcs donnent leur avis…et les clercs décident seuls. Un concentré de cléricalisme pur. A savourer pour les adeptes du genre !
Il y a six mois j’adressais à ma Fraternité le message suivant :

La pitié sera le chagrin que nous cause un malheur dont nous sommes témoins et capable de perdre ou d’affliger une personne qui ne mérite pas d’en être atteinte, lorsque nous présumons qu’il peut nous atteindre nous-mêmes, ou quelqu’un des nôtres, et cela quand ce malheur parait être près de nous. En effet, il est évident que celui qui va être pris de pitié est dans un état d’esprit tel qu’il croira pouvoir éprouver quelque malheur, ou lui-même, ou dans la personne de quelqu’un des siens, et un malheur arrivé dans les conditions énoncées dans la définition, ou analogues, ou approchantes.

On aura de la pitié si l’on croit qu’il existe d’honnêtes gens ; car, si l’on n’a cette idée de personne, on trouve toujours que le malheur est mérité. Et, d’une manière générale, lorsqu’on sera disposé à se rappeler que la même calamité est tombée sur soi-même, ou sur les siens, ou encore à songer qu’elle peut nous atteindre, nous ou les nôtres.

Voilà pour les divers états d’esprit où l’on a de la pitié.

Quant à ce qui inspire ce sentiment, la définition donnée le montre avec évidence. Parmi les choses affligeantes et douloureuses, toutes celles qui amènent la destruction excitent la pitié, ainsi que toutes celles qui suppriment un bien, et celles dont la rencontre accidentelle est une cause de malheurs d’une grande gravité.

Aristote, Rhétorique, livre II, Chapitre VIII, 2-3 et 8

         C’est un peu le sentiment que je ressent en ce moment ou je me sens, avec l’Eglise catholique en France, submergée par une vague d’écœurement, de dégout, de tristesse, devant les scandales sexuels à répétitions de toutes sortes qui sont révélés -non parfois sans réticences et dissimulation de la part de la hiérarchie de l’Eglise- depuis la publication du rapport de la CIASE l’an dernier.
       Chagrin, oui parce que cette Eglise, je continue à croire non pas qu’ elle est « une, sainte, catholique et apostolique » comme si c’était un fait accompli, mais à son unité en Christ, à sa sainteté par Christ, à son universalité dans le salut qu’elle propose en Lui, et à la vérité de ce qui nous est transmis de la foi des Apôtres.
     Je ne crois pas que cette Eglise Catholique, Romaine ou non (et c’est aussi valable pour les Eglises orthodoxes ou Orientales si imparfaites dans leurs structures) puisse continuer comme cela sans de profonds bouleversements structurels.
« On aura de la pitié si l’on croit qu’il existe d’honnêtes gens ».:  il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, mais de changer l’eau.
Et peut-être aussi la baignoire.
      La structure hiérarchique de l’Eglise Catholique est universaliste et on perçoit bien, et de plus en plus, combien cette vision est inadaptée, obsolète, et freine les évolutions nécessaires. Le Synode des Évêques pour l’Amazonie en est un exemple retentissant: la possibilité d’ordonner prêtre des hommes mariés et des femmes diaconnesse n’a finalement pas été retenue à cause de la « contagion » possible à toute l’Eglise Romaine. (Qui à mon avis ne s’en serait pas portée plus mal).
     Cette gouvernance de l’Eglise Catholique Romaine est aujourd’hui une catastrophe. Le crime du card. Ricart est révélateur de bien des disfonctionnements : au sujet de la formation et du parcourt ecclésiastique (https://www.cath.ch/newsf/laffaire-ricard-representative-dun-manque-de-maturite-affective/) mais pas seulement.
Comment croire à la lutte contre la pédocriminalité quand elle est menée par un membre de la congrégation pour la doctrine de la foi lui-même criminel ?
Comment croire à un contrôle de la part du Vatican dans la nomination des évêques par le biais des Nonces Apostoliques, alors que Mgr Luigi Ventura nonce apostolique en France de 2009 à 2019 a été condamné à huit mois de prison pour agression sexuelle après avoir échappé à une plainte identique au Canada en 2008 en raison de son immunité diplomatique ?
     Le problème est moins un problème de personnes qu’un problème de formation de la personne [1]. Ce que Sodoma avait révélé au sein de la haute hiérarchie de l’Eglise Catholique se répercute à tous les niveaux. Les motivations des candidats au sacerdoce ont été trop longtemps sous informées. Les dégâts aujourd’hui sont immenses. Et c’est sur la grande majorité des prêtres et évêques qui se dévouent dans leur ministère que retombe la méfiance souvent imméritée et le désarroi face à une situation dont ils ne sont pas responsables et surtout qu’ils ne savent pas gérer, les « outils » dont ils disposent étant inadaptés.

La communication de la part des évêques est non seulement déficiente dans la forme et le fond mais surtout parfaitement incompréhensible et inaudible. Et les tentatives récentes (2022) de « noyer le poisson » et de se dédouaner de Mgr de Moulin-Beaufort joignent l’odieux au ridicule.

Alors ?

     C’est la structure même de l’Eglise Catholique Romaine qui est sans doute à revoir. Elle est fondée sur le pouvoir absolu d’une caste d’hommes célibataires cooptés mis à part, qui forment le haut clergé.
Dit comme cela c’est certes un peu raide, mais c’est grandement une réalité. Et il faut sans doute se poser des questions :
  • Quel rôle pour le Pape ? La monarchie quasi absolue d’aujourd’hui est-elle pertinente et nécessaire. Être le garant de l’unité veut-il dire nécessairement être garant de l’uniformité ? Nous avons peut-être a apprendre beaucoup de nos frères Anglicans et de la tache de Primat de l’évêque de Canterbury.
  • La réforme de la Curie Romaine, qui va dans le bon sens, n’est pas sans ambiguïté en cas d’élection future d’un pape conservateur mais c’est une volonté de François qui fait bouger les lignes : https://fr.wikipedia.org/wiki/Reforme_de_la_curie_romaine_sous_le_pape_François
  • Surtout, il faut une vraie cogestion du pouvoir dans l’Eglise Catholique : entre clercs et laïques, entre hommes et femmes. Le fait d’être un homme, célibataire, ordonné, compétent théologiquement, ne fait pas nécessairement une personne équilibrée et bien dans sa vie si c’est un choix par défaut. L’obligation du célibat sacerdotal dans l’Eglise Catholique ROMAINE -pas dans les autres Eglises Catholiques ! – est un non sens qui a des conséquences. La manière dont notre Eglise parle de la vie conjugale est irénique, désincarnée, hors sol. Ca ne veut pas dire qu’un clergé marié serait idéal, mais un prêtre est appelé à être serviteur parmi ses frères et sœurs. Ni à coté, ni au dessus, ni au dessous.
  • Toute cette boue qui remonte de nos égouts ecclésiastiques a un nom : domination. L’exercice d’un pouvoir discrétionnaire sur les personnes qui sont soumises consciemment ou non, volontairement ou non. Elle est le fait de quelques uns, mais ce poison a été instillé par le type de prêtre formé pendant trop longtemps. Quand j’étais au séminaire, le let-motive était que nous devions nous préparer à diriger, enseigner et conduire le « troupeau » que nous confierait l’Eglise. Et il s’agissait bien d’une relation verticale – hiérarchique, pas horizontale – fraternelle.

     Notre Eglise Catholique Romaine occidentale arrive au bout de son phénomène d’autodestruction. Manque de prêtres, oui, mais ce n’est qu’un symptôme. Il faut peut-être en passer par là pour que se pose la question principale : une Eglise pourquoi ? et ensuite une Eglise comment ?

     Le processus synodal engagé par François peut être un élément de réflexion s’il n’est pas dévoré avant par les petits cochons de la curie.

Tout le problème est de savoir s’il sera suffisant.

     Un signe d’espoir cependant qui montre qu’il est possible de bouger au moins localement : dans notre diocèse de Rouen, Mgr Dominique Lebrun à nommé Mme Carole de Villeroché, mariée et mère de famille, ancienne responsable de la catéchèse comme de Co-Modératrice de la Curie. Un nouveau ministère pour trois ans, pour travailler avec le Vicaire Général avec même pouvoir décisionnaire et même prérogatives que lui.

Un pas peut-être plus important qu’il n’y paraît….

     L’assemblée des évêque à Lourdes fin mars va à l’encontre de l’ouverture désirée par un peuple laïc dont ils ne semblent pas percevoir les attentes, ou pire s’ils les perçoivent se sentent au mieux incapables d’y répondre et au pire refusent d’y répondre.

 Aujourd’hui il apparait que nos évêques (ou du moins plus de 33%  puisque les adoptions se faisaient à la majorité qualifiée) ne souhaitent clairement pas partager les prises de décisions avec les laïcs.

La synodalité consisterai selon eux a prendre leurs avis et à décider ensuite. 

     Est-ce que ça valait vraiment la peine de mobiliser et faire travailler dur une centaine de personnes pour renvoyer les décisions à d’hypothétiques “Comités Théodule” qui rendront leurs avis dans x années  ? Un synode commun CEF/Laïcs tous les trois ans sur un sujet (choisi par qui ?) ne résoudra rien si les décisions ne sont pas prises en commun (dans tout ce qui n’est pas d’ordre dogmatique bien sur).

 
 
     Quand j’ entend qu’une majorité de clercs déclarent en privé que “la CIASE y’en a marre” je suis inquiet. La tendance de ceux qui ont peur est toujours la même: quand ils ont trop chaud , ils accusent le thermomètre.

 

 

Pendant ce temps des crimes continuent à être mis a jour en France et dans le monde.
Et les croyants désertent sans bruit, mais en masse, une église en laquelle ils n’ont plus confiance.  

Hosanna ! Jésus reviens!

 

   Georges


[1] Voir à ce sujet le livre de Josselin TRICOUT  Des soutanes et des hommes  PUF Paris 2021

 

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