Paul VI, après Vatican II

 

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XXXVII Paul VI, après Vatican II

 

Quand le 8 décembre 1965 le pape clôt le concile Vatican II, des questions restent en suspens qui ont été écartées de l’agenda conciliaire par Paul VI, qui les considérait de sa seule autorité : la réforme de la curie et le mécanisme destiné à donner une place centrale à la collégialité, le célibat des prêtres, le refus de laisser le concile débattre de la contraception et du contrôle des naissances. Par ailleurs, les vœux pour le concile exprimés par l’Athénée pontificale salésienne, proposant l’excommunication latæ sententiæ (i.e. automatique) des agresseurs sexuels, clercs ou religieux, ont été écartés lors des débats préparatoires sur deux arguments : laisser les évêques en juger et éviter un scandale préjudiciable à l’Église et au célibat ecclésiastique [1].

 

Des encycliques qui vont marquer l’époque 

 

L’encyclique Ecclesiam suam

 

     Publiée pendant le concile [2] Ecclesiam Suam est connue sous le nom de «l’encyclique du dialogue». Paul VI veut réfléchir sur l’Église, proposer sa réflexion, et il le fait dans un contexte où le Concile œcuménique se questionne sur les mêmes thèmes.

     « Il y a presque un jeu de miroirs entre le discours du 29 septembre 1963, lorsque Paul VI inaugura la deuxième partie du Concile – et la première qu’il préside – et l’encyclique qui développe précisément les thèmes qu’il avait déjà esquissés.

En effet, le dialogue a un rôle central, même si ce n’est pas le seul thème développé dans le document. Mais ce caractère central est également confirmé par une série de notes de Paul VI, intitulées « Notes pour une encyclique sur le dialogue. 

      Pour comprendre la nature du dialogue comme Paul VI l’a voulu, il faut partir de ce que l’on pourrait définir comme sa dimension verticale: car le dialogue de Paul VI est avant tout le “colloquium salutis”, le colloque du salut, que Dieu lui-même commence par la Parole qui interpelle l’humanité, la Parole de sa révélation, la Parole par laquelle il dirige et sauve son peuple. Et c’est précisément parce que Dieu a commencé ce dialogue que Paul VI affirme que la mission de l’Église est d’introduire dans la conversation humaine cette Parole que Dieu lui a confiée, que les croyants doivent d’abord écouter et qu’ils doivent introduire dans le circuit de la conversation et du dialogue entre les êtres humains.

     Paul VI décline également une vision des cercles concentriques, dans lesquels ce dialogue doit se développer. C’est un dialogue qui se développe d’abord avec les chrétiens, d’où l’empreinte et l’importance du thème œcuménique pour Vatican II, que tout son pontificat exprime. Un dialogue qui se manifeste ensuite avec toutes les autres religions et enfin avec toute l’humanité. Nous pouvons dire que Paul VI nous a invités à partager cette confrontation et cet effort, d’une part pour répondre à la Vérité que Dieu a manifestée, d’autre part pour coopérer au bien de l’humanité. [3] »

L’encyclique Populorum progressio

 

     Populorum progressio [4] sur le développement des peuples, publiée le 26 mars 1967, a eu un grand retentissement dans le monde, même dans les milieux non chrétiens.

     Paul VI dénonce le déséquilibre croissant des niveaux de vie entre les peuples ; la misère imméritée des paysans, le scandale des disparités criantes, non seulement dans la jouissance des biens, mais plus encore dans l’exercice du pouvoir ; le heurt entre les civilisations traditionnelles et les nouveautés de la civilisation industrielle

     Dès les premières lignes de l’encyclique, Il souligne la gravité du problème du développement et l’urgence pour le résoudre d’une action solidaire. Il proclame : « La question sociale est devenue mondiale. Les peuples de la faim interpellent aujourd’hui les peuples de l’opulence. L’Eglise tressaille devant ce cri d’angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à l’appel de son frère. » On trouve déjà le thème du développement intégral de l’Homme et du développement solidaire de l’humanité qui annonce le thème de l’écologie intégrale si cher au pape François [5]

Lettre apostolique Octogésima adveniens

 

     Parue le 14 mai 1971, adressée à monsieur le cardinal Maurice Roy, président du conseil des laïcs et de la commission pontificale « justice et paix » à l’occasion du 80e anniversaire de l’encyclique rerum novarum. [6]

     Cette lettre manifeste une évolution de la pensée du magistère. C’est en effet la première fois qu’un document du magistère aborde le thème des effets de l’activité humaine sur l’environnement :

     « Tandis que l’horizon de l’homme se modifie ainsi à partir des images qu’on choisit pour lui, une autre transformation se fait sentir, conséquence aussi dramatique qu’inattendue de l’activité humaine. Brusquement l’homme en prend conscience : par une exploitation inconsidérée de la nature, il risque de la détruire et d’être à son tour la victime de cette dégradation. Non seulement l’environnement matériel devient une menace permanente : pollutions et déchets, nouvelles maladies, pouvoir destructeur absolu ; mais c’est le cadre humain que l’homme ne maîtrise plus, créant ainsi pour demain un environnement qui pourra lui être intolérable. Problème social d’envergure qui regarde la famille humaine tout entière » (21)

          La lettre présente également une inflexion de la pensée sur le progrès, dont l’ambiguïté est soulignée beaucoup plus fortement que dans les textes précédents du magistère : « Un doute aujourd’hui se lève pourtant sur sa valeur et sur sa réussite. Que signifie cette quête inexorable d’un progrès qui fuit chaque fois qu’on croit l’avoir conquis ? Non maîtrisé, le progrès laisse insatisfait. Sans doute a-t-on dénoncé, à juste titre, les limites et même les méfaits d’une croissance économique purement quantitative et souhaite-ton atteindre aussi des objectifs d’ordre qualitatif. La qualité et la vérité des rapports humains, le degré de participation et de responsabilité sont non moins significatifs et importants pour le devenir de la société que la quantité et la variété des biens produits et consommés. Surmontant la tentation de vouloir tout mesurer en termes d’efficacité et d’échanges, en rapports de forces et d’intérêts, l’homme désire aujourd’hui substituer de plus en plus à ces critères quantitatifs l’intensité de la communication, la diffusion des savoirs et des cultures, le service réciproque, la concertation pour une tâche commune.
Le vrai progrès n’est-il pas dans le développement de la conscience morale qui conduira l’homme à prendre en charge des solidarités élargies et de s’ouvrir librement aux autres et à Dieu » ( 41).

   Et un appel pressent à l’action: « Que chacun s’examine pour voir ce qu’il a fait jusqu’ici et ce qu’il devrait faire. Il ne suffit pas de rappeler des principes, d’affirmer des intentions, de souligner des injustices criantes et de proférer des dénonciations prophétiques : ces paroles n’auront de poids réel que si elles s’accompagnent pour chacun d’une prise de conscience plus vive de sa propre responsabilité et d’une action effective. Il est trop facile de rejeter sur les autres la responsabilité des injustices, si on ne perçoit pas en même temps comment on y participe soi-même et comment la conversion personnelle est d’abord nécessaire. » (48)

 

Des encycliques controversées

 

Encyclique sacerdotalis célibatus (1967)

 

     On pourrait traduire le propos de cette encyclique [7] par « circulez rien de nouveau à dire » comme si le  problème était le célibat des prêtres en soi. Or ce qui pose problème c’est l’obligation du célibat pour les clercs.

Des réactions

     Le 25 janvier 1970, dans le cadre du Concile pastoral de la province ecclésiastique des Pays-Bas [8], les évêques néerlandais se prononcent en faveur de l’ordination d’hommes mariés en termes très mesurés : « Les évêques estiment que, pour leur communauté, il serait bon qu’à côté de prêtres vivant dans le célibat choisi en toute liberté, on puisse admettre dans l’Église latine des prêtres mariés, en ce sens que des hommes mariés pourraient être ordonnés prêtres, et qu’en des cas particuliers, des prêtres qui se sont mariés puissent être réintégrés dans le ministère, sous certaines conditions [9] ».

Synode sur le ministère sacerdotal

     Après avoir exprimé « de graves réserves » dans une lettre du 2 février 1970 au cardinal Villot, secrétaire d’Etat, Paul VI décide de réunir, fin 1971, un synode des évêques sur ce thème.

     107 pères optent pour une formule extrêmement restrictive, 87 adoptent une position proche de la réforme envisagée et il y a 2 abstentions et 2 bulletins nuls. La réforme n’est pas adoptée.

     Pour Louis de Vaucelles [10], la procédure est responsable de cet échec : les dossiers préparés par les conférences épiscopales ont été sous-utilisés, il n’y a pas eu de débats, les échanges se réduisant à une série de monologues, et la présidence (trois présidents nommés par le pape) a éludé des questions de manière arbitraire. Ces difficultés ont été accrues par la diversité des mentalités et des situations pastorales.

Encyclique humanae vitae (1968)

 

      le 25 juillet 1968 Paul VI promulgue l’encyclique humanae vitae [11]. Dans cette encyclique, le Magistère rappelle que la doctrine de l’Église sur le mariage est fondée « le lien indissoluble, que Dieu a voulu et que l’homme ne peut rompre de son initiative, entre les deux significations de l’acte conjugal: union et procréation. (12)» tout en reconnaissant la possibilité de différer une naissance (Paternité responsable (10)) au moyen de « méthodes naturelles »

Les prises de position de Paul VI viennent en contradiction [12] avec les travaux de la commission pontificale pour l’étude de la population, de la famille et de la natalité. Créée en 1963 par Jean XXIII

Réactions

      Il y a des vieux reflexes conservateurs dont il faut savoir se défaire. Ainsi même s’il est reconnu officiellement qu’une encyclique n’est pas un document infaillible, d’aucuns exigeraient qu’on se comporte comme s’il l’était.  Comme l’écrit Henri de Lubac dans Paradoxes  : « Il n’y a de « paroles d’évangile » que les paroles de l’Evangile. Les paroles des encycliques sont paroles d’encycliques : chose assurément très digne, très importantes, mais autre chose. »  Et surtout  il y a une certaine schizophrénie à voir tous ces célibataire, théoriquement sans relations conjugales, venir dire aux couples ce qu’ils doivent être et faire dans leur relations de couple.

     L’Eglise catholique n’a manifestement pas perçu qu’elle ne pouvait plus s’adresser à des adultes comme à un « troupeau » fidèle. Humanae vitae apparue à l’automne 1968 est l’exacte erreur d’un pape déconnecté des réalités vécues par les « chrétiens de base » si chers à cette époque.

     De nombreuses conférences épiscopales vont émettre des « grilles de compréhension » bien nécessaires. Ainsi en est-il de de la Conférence des Evêques de France [13]

     Dans ses mémoires, le cardinal français Roger Etchegaray a parlé de « schisme silencieux [qui a] fragilisé l’autorité [papale] ». Le théologien Yves Congar, adressant en 1968 un courrier au secrétariat de l’épiscopat français, déclara : « je n’arrive pas vraiment à juger que des époux, qui ont exercé ou exercent une paternité raisonnable et généreuse, contreviennent à la volonté de Dieu si, pour espacer ou éviter une nouvelle naissance (intention qu’ Humanæ Vitæ reconnaît légitime), ils usent d’un moyen artificiel plus sûr que l’abstinence périodique »

 

Le renouveau charismatique

 

      Paul VI encouragea le renouveau charismatique catholique, qu’il considérait comme une chance pour l’Église et pour le monde.

     Il déclara lors de son discours au IIIe congrès international du renouveau charismatique catholique, le 19 mai 1975 : « Comment alors ce « renouveau spirituel » ne pourrait-il pas être une « chance » pour l’Église et pour le monde ? Et comment, en ce cas, ne pas prendre tous les moyens pour qu’il la demeure ?
Ces moyens, chers fils et chères filles, le Saint-Esprit voudra bien vous les indiquer, selon la sagesse de ceux qu’il a lui-même «établis gardiens pour paître l’Église de Dieu» ( Act . 20, 28). Car c’est le Saint-Esprit qui a inspiré à saint Paul certaines directives très précises, que Nous nous contenterons de vous rappeler. Y être fidèles sera pour vous la meilleure des garanties pour l’avenir.
Vous savez le grand cas que l’Apôtre faisait des «dons spirituels»: «N’éteignez pas l’Esprit», écrivant-il aux Thessaloniciens ( 1 Thess . 5, 19), tout en ajoutant immédiatement: «Vérifiez tout, retenez ce qui est bon» ( Ibid . 5, 21).[14]».

 

Dialogues

 

 

Dialogues œcuméniques

    • Depuis le 7 décembre 1965 avec l’abrogation simultanée des excommunications de 1054 par un bref du pape Paul VI au Vatican et un tomos(décret) du patriarche de Constantinople,  Athénagoras Ier, à İstanbul. Ce dialogue est mené, pour l’Église orthodoxe, d’une manière unifiée (au sein de la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique romaine et l’Église orthodoxe) depuis 1980, ou au niveau de chacune des Églises orthodoxes locales.[15]
    • Entre la Fédération Luthérienne Mondiale et l’Église Catholique au sein de la Commission internationale catholique-luthérienne créée en 1967 [16]
    • Entre la commission internationale anglicane-catholique romaine(ARCIC) établie en 1967 [17]
    • Dans la commission mixte internationale catholique-méthodiste international depuis 1967
 

Dialogue interreligieux

     Le dialogue avec les religions non chrétiennes, en particulier le judaïsme, se développe pendant le pontificat de Paul VI, sous l’impulsion de la déclaration Nostra Ætate.

En dehors du monde chrétien, le pape rencontre en 1971 Kalou Rinpoché lors de son premier voyage en Occident. Le 30 septembre 1973, Paul VI reçoit en audience le 14e dalaï-lama, Tenzin Gyatso au Vatican. Le 17 janvier 1975, il reçoit en audience le 16e karmapa, Rangjung Rigpe Dorje. En 1974, il rencontre les oulémas d’Arabie

 

Il est le premier Pape à voyager hors de Rome.

     Après l’ONU en 1965, ils se rend en pèlerinage à Fatima (Portugal) en 1967 ; en Turquie la même année ou il rencontre le Patriarche Athénagoras (qui sera reçu à Rome trois mois plus tard) ; à Bogota (Colombie) en 1968 ; à Genève (Suisse) ou il se prend la parole devant l’ Organisation Internationale du Travail et le Conseil œcuménique des Églises ; en Sardaigne (Cagliari) en 1969.

Il est également le premier pape accueilli en Afrique, en Ouganda en 1969.

Lors d’un pèlerinage en Asie orientale, Océanie et Australie (du 26 novembre au 5 décembre 1970). Paul VI  effectue une série de visites pastorales en Asie orientale et Océanie.

Le 27 novembre 1970, à son arrivée à l’aéroport international de Manille, Paul VI réchappe d’une tentative d’assassinat. Déguisé en prêtre, crucifix en main, Mendoza parvient à approcher le pape avant de le frapper de deux coups de poignard dans le cou, portés de part et d’autre de la veine jugulaire. Le col rigide que porte le pape pour le soulager de l’arthrose cervicale contribue à la légèreté des blessures dont l’existence n’est toutefois révélée qu’après sa mort en 1978. Paul VI termine sa visite officielle selon le programme prévu.

 

Décès et funérailles.

     Victime d’une crise cardiaque en fin d’après-midi le 6 août 1978, Paul VI meurt dans sa résidence d’été de Castel Gandolfo après quinze ans de pontificat, à l’âge de 80 ans. Il est inhumé le 12 août 1978 et enterré, selon ses souhaits, dans les grottes du Vatican

     

Le 11 mai 1993 a été lancée dans le diocèse de Rome la cause de canonisation. Benoît XVI a déclaré « l’héroïcité de ses vertus » le 20 décembre 2012. Le 9 mai 2014, le Pape François a autorisé la Congrégation pour les causes des saints à promulguer le décret concernant le miracle attribué à son intercession. François l’a « élevé à l’honneur des autels » (déclaré saint) le 19 octobre 2014.[18]

 

 

[5] Le dicastère pour le service du développement humain intégral est créé par le pape François en 2016 en remplacement des conseils pontificaux « Justice et Paix », « Cor Unum », « pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement » et « pour la pastorale des services de la santé ».
[8] Le Concile pastoral de la province ecclésiastique des Pays-Bas avait une composition très innovante pour l’époque (1970) proche du Chemin Synodal Allemand ( https://riposte-catholique.fr/archives/172863#) avec (hélas) aussi peu de succès auprès du pape et de la curie romaine !
[9] BRACHIN Pierre. Paul VI et l’Église des Pays-Bas. In: Paul VI et la modernité dans l’Église. Actes du colloque de Rome (2-4 juin 1983) Rome : École Française de Rome, 1984. pp. 765-784. (Publications de l’École française de Rome, 72) p 772 www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1984_act_72_1_2439
[10] de VAUCELLES Louis, « Journal du synode », Études,‎ décembre 1971, pp.753-763 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k441866v/f128.item
[12] En 1966, les théologiens de la commission déclarent par 15 voix contre 4 que la contraception artificielle n’est pas intrinsèquement mauvaise et, les 24 et 25 juin 1966, approuvent par 9 voix contre 5 un texte final disant qu’« il leur appartient [aux époux] d’en décider ensemble, sans se laisser aller à l’arbitraire, mais en ayant toujours à l’esprit et à la conscience des critères objectifs de moralité  » où l’éloge de la continence périodique est supprimé. Voir ROUCHE Michel. La préparation de l’encyclique « Humanae vitae ». La commission sur la population, la famille et la natalité. In: Paul VI et la modernité dans l’Église. Actes du colloque de Rome (2-4 juin 1983) Rome : École Française de Rome, 1984. pp. 361-384. (Publications de l’École française de Rome, 72). www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1984_act_72_1_2419
[14] Discours du pape Paul VI aux participants au IIIème congrès international du renouveau charismatique catholique :  https://www.vatican.va/content/paul-vi/fr/speeches/1975/documents/hf_p-vi_spe_19750519_rinnovamento-carismatico.html

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