Les grands accords œcuméniques du XX° siècle I

 

Les articles sur l’histoire des Eglises resteront disponibles individuellement pendant trois mois
Ils sont ajoutés sur les pages [Histoire de l’Eglise: Eglise et unité] ou [L’Orthodoxie, Eglise des sept Conciles] au fur et à mesure de leur parution

 

XXXIX Les grands accords œcuméniques du XX° siècle

 I

 

La concorde de Leuenberg (1973)

 

Deux « outils » majeurs vont être mis en œuvre: 

Le concept de Promissio:

     « La Parole de Dieu est comprise de façon dynamique comme proclamation de la promesse (promissio) de la présence salvatrice de Dieu et réalisation de l’alliance universelle de Dieu. »[1]. Ce concept est la clef pour comprendre la manière dont les divergences ont été dépassées. On le trouve  dans les discussions sur le baptême (Arnoldshain III-1) et sur la Sainte-Cène (Arnoldshain II-2) [2].

     C’est par l’Ecriture en tant que parole proclamée que Dieu agit en celui qui l’écoute et accueille son salut. Cette proclamation de la parole est auto-communication de Dieu et présence de Jésus-Christ par l’Esprit-Saint. [3]

Le consensus différencié:

     Il comprend les différences doctrinales comme source d’enrichissement mutuel et non plus comme source de séparation (Rencontres de Bad-Schauenburg).

     André Birmelé le définit ainsi [4]: « Le consensus est la relation qui existe entre deux exposés qui ne sont pas séparateurs d’Eglises tout en étant des exposés différents d’une même vérité fondamentale. Il est différencié c’est-à-dire capable d’accepter des différences…/…qui, lorsqu’elles ne remettent plus en question l’affirmation commune, expriment une légitime diversité »

Le texte  [5]

     Les Eglises concernées sont les Églises Luthériennes et Réformées, les Églises Unies qui en sont issues, ainsi que les Églises des Vaudois et des Frères Moraves qui leur sont apparentées qui constatent « une compréhension commune de l’évangile » telle qu’ exposé dans la concorde, qui « leur permet de déclarer entre elles la communion ecclésiale, et de la réaliser » et une même compréhension de l’unité de l’Eglise   (cl 1. et 2.)   qui est la reprise littérale de la Confession d’Augsbourg n°13 « De l’Eglise » [6]: « la condition nécessaire et suffisante de la vraie unité de l’Église est l’accord dans la prédication fidèle de l’Évangile et l’administration fidèle des sacrements. »

I – Le cheminement vers la communion

     Les éléments communs: à l’origine de la Réforme ces Eglises se sont fondées « sur une expérience nouvelle de l’Évangile comme porteur de liberté et de certitude »  en posant l’Evangile comme norme de vie et de doctrine et « la grâce libre et inconditionnelle de Dieu » manifesté en Jésus-Christ. (cl 4) Le texte constate que les évolutions des façons de vivre l’Eglise et l’approfondissement de la théologie permettent une compréhension renouvelée et convergente de la situation ecclésiale. (cl 5.)

II – La compréhension commune de l’Évangile

        1. Le message de la justification

     En tant que message de la libre grâce de Dieu, le message de la justification est réaffirmé par le rappel de la doctrine telle que formulée au XVI° siècle (cl 12.e).  « L’Évangile proclame Jésus Christ, le salut du monde, accomplissement de la promesse faite au peuple de l’ancienne Alliance. Les Réformateurs en ont la juste compréhension dans la doctrine de la justification. »( cl 7.-8.a)

     Cette « juste compréhension » n’est pas doctrinale, mais compréhension de l’action salvatrice de Dieu en Jésus-Christ comme don justifiant à l’homme pécheur moyennant la foi. Cette compréhension s’articule autour de quatre affirmations relevées par Marc Lienhard: [7]

          • Le Christ lui-même est le centre de l’Ecriture (cl 2)
          • Le message de la justification a nécessairement des conséquences éthiques (cl 11)
          • La justification a toujours une dimension eschatologique (cl 9)
          • Elle a une dimension ecclésiologique (cl 10)

Il y a accord sur : « Christ médiateur du salut et fondement unique de toute vie ecclésiale et de tout enseignement. Ce salut est justification du pécheur par la foi seule, il est donné dans la prédication de la Parole et la célébration des sacrements conformément à sa parole » [8]

        1. Prédication, baptême et cène

          (cl 13): « L’Évangile nous est fondamentalement attesté par la parole des apôtres et des prophètes dans les saintes Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testaments. L’Église est chargée de transmettre cet Évangile par la parole orale dans la prédication, et par l’exhortation individuelle, par le baptême et la cène » 

a) Baptême (cl 14a): Pour Calvin « le baptême représente particulièrement deux choses : la purification que nous obtenons par le sang de Christ, et la mortification de notre chair que nous avons eue par sa mort »[9]. Pour Luther le Baptême « opère la rémission des péchés, affranchit de la mort et du diable, et donne le salut éternel à tous ceux qui croient… » [10]

     Là encore le terme « promissio » permet de dépasser ces compréhensions différentes de l’union du divin et de l’humain dans le sacrement. « Un lien est établi entre une compréhension causative et une compréhension cognitive du baptême. [11]«  « Par la parole proclamée et le bain d’eau, Dieu promet au baptisé sa filiation et la lui donne. Nous sommes, dans la foi, assurés que Dieu accomplit par le  Saint-Esprit qu’il a promis et que nous implorons, ce qu’il promet. »[12].  Arnoldshain parle de « Parole habillée en acte » (Thèse III 2)

b) Cène (cl 14b): Tous les dialogues ont abordé ce sujet difficile et à l’origine de toutes les controverses entre les réformateurs dès l’origine du mouvement. La solution est trouvée lors des rencontres d’Arnoldshain par une exégèse des textes de l’institution de la Cène que l’on peut résumer ainsi:

            • Dans la Cène Christ lui-même agit. il est présent par sa parole dans l’Esprit-Saint. (II 1)
            • La Cène est une manière choisie par Dieu pour communiquer sa grâce salvatrice (II 2)
            • Cette promesse (promissio) « permet une compréhension dynamique de la parole qui établit un lien étroit entre parole proclamée et éléments de la Cène. Par elle Jésus-Christ s’offre à nous dans son corps et son sang dans le don du pain et du vin» (Explication de la thèse II 2) [13]

III – L’accord face aux condamnations doctrinales de l’époque de la Réforme.

Cène: « Nous ne saurions dissocier la communion avec Jésus Christ en son corps et en son sang de l’acte de manger et de boire. Toute considération du mode de présence du Christ dans la cène qui serait détachée de cet acte risque d’obscurcir le sens de la cène. »( cl 19.)

     En ce sens le mode de présence du Christ dans la Cène est une différence qui reste réelle mais qui n’est plus séparatrice, à partir du moment où la dynamique de la proclamation de la présence du Christ mort et ressuscité pour mon salut et le don de sa grâce justifiante pour moi aujourd’hui, est reconnue et exprimée dans et par « l’acte de manger et de boire » le pain et le vin que Jésus-Christ lui-même a choisi et par lesquels il se donne. (Lyon: explication de la thèse IV) [14]

Christologie: Plus encore pour les questions christologiques la Concorde de Leuenberg propose de dépasser les oppositions en portant l’accent sur l’action de Dieu trinité en faisant des valeurs propres à chaque église des richesses à redécouvrir et à partager (cl 22.)

Prédestination: Elle est prédestination au Salut. Et seulement cela.

Conséquences: Là où il y a accord sur les points précédents « les condamnations contenues dans les confessions de la Réforme à propos de la cène, de la christologie et de la prédestination ne concernent pas la doctrine dans son état actuel. » (cl 27.)

IV – Déclaration et réalisation de la communion ecclésiale

« La communion ecclésiale au sens de la présente Concorde signifie que des Églises de traditions confessionnelles différentes, se fondant sur l’accord auquel elles sont parvenues dans la compréhension de l’Évangile, se déclarent mutuellement en communion quant à la prédication et à l’administration des sacrements et s’efforcent de parvenir à la plus grande unité possible dans le témoignage et le service envers le monde. » (cl 29)

        1. Déclaration de la communion ecclésiale

Les églises signataires de la Concorde  « se déclarent mutuellement en communion quant à la prédication et à l’administration des sacrements. Cela inclut la reconnaissance mutuelle des ordinations et la possibilité de l’intercélébration. » (cl 33.c)

     Sur le plan œcuménique la déclaration de cl 34 est essentielle: « Les Églises participantes ont la conviction qu’elles font partie ensemble de l’unique Église de Jésus Christ ». Dire que les églises signataires font partie ensemble de l’unique Eglise de Jésus-Christ signifie que cette Eglise de Jésus-Christ est plus grande que cet ensemble.

        1. Réalisation de la communion ecclésiale

Par le témoignage et le service ; la poursuite du travail théologique ; la compréhension commune de l’Evangile ; l’étude des questions doctrinales qui persistent.

Chaque église conserve ses dispositions: « la déclaration de communion quant à la prédication et à l’administration des sacrements et la reconnaissance mutuelle des ordinations, ne porte pas atteinte aux dispositions en vigueur dans les Églises concernant l’engagement au ministère pastoral, l’exercice de ce ministère et l’organisation de la vie paroissiale. » (cl 43)

 

Conclusion: développement

     Quatre-vingt-dix-huit églises ont signé la Concorde de Leuenberg depuis 1973 en tant qu’Eglises dites signataires.

     Sept Eglises méthodistes appartiennent à la Communauté des Eglises protestantes en Europe sur la base d’une « Déclaration commune à l’Eglise ».

     Sur cinq Églises luthériennes scandinaves, qui ont participé à la Fraternité de l’Église de Leuenberg depuis 1973 en tant qu’Églises participantes, deux Églises (Danemark et Norvège) ont signé l’Accord de Leuenberg.

     Le cardinal Ratzinger lui-même écrivait en 1981 que « la voie sur laquelle on s’est engagé avec la Concorde de Leuenberg conclue entre Églises luthériennes et réformées devrait trouver un prolongement correspondant entre les Églises de la Réforme et l’Église catholique romaine » Une première application de ce modèle au dialogue avec Rome sera la Déclaration commune à propos de la doctrine de la justification signée en 1999. On parviendra à un consensus différencié à propos de cette conviction centrale sans cependant pouvoir, pour le moment et à la différence des dialogues entre les familles marquées par la Réforme, déboucher sur une déclaration de communion ecclésiale [15]

 

 

[1] 1964-1967: Les rencontres de Bad-Schauenburg sur l’évolution historique des deux traditions : Thèse 1 in : BIRMELE André. Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques, Coll. Cogitatio fidei n°141, Le Cerf Paris 1986. ISBN 2-204-02609-3 p. 406
[2] Sur une base exégétique et historique, la présence réelle du Christ est comprise comme liée aux  éléments de la Cène. https://de.wikipedia.org/wiki/Arnoldshainer_Abendmahlsthesen
[3] 1964-1967: Les rencontres de Bad-Schauenburg sur l’évolution historique des deux traditions : Thèse 3 : in BIRMELE André. Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques, op. cit. p. 408
[4] BIRMELE André. La communion ecclésiale. Progrès œcuméniques et enjeux théologiques. Coll. Cogitatio fidei n°218, Le Cerf Paris 2000. ISBN 2-204-06435-1 p. 286
[6] BIRMELE André et LIENHARD Marc. La foi des églises Luthériennes. Le Cerf Paris 1991. La Confession d’Augsbourg, art VII, p.46
[7] Cité par BIRMELE André. Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques op. cit. p. 413 note 95
[8] BIRMELE André. Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques op. cit. p. 414
[9] Jean CALVIN, brève Instruction Chrétienne, 5ème partie « des sacrements »  in:  http://www.servir.caef.net/?p=5562
[10] BIRMELE André et LIENHARD Marc. La foi des églises Luthériennes. op.cit. Le petit catéchisme de Luther p.311
[11] BIRMELE André. Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques op. cit. p. 408
[12] Thèse sur le baptême Arnoldshain 1959 Cité par André BIRMELE op. cit. p.408
[13] Cité in BIRMELE André. Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques op. cit. p. 410
[14] Cité in BIRMELE André. Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques op. cit. p. 410
[15] BIRMELE André. De Luther à Leuenberg. Revue d’histoire et de philosophie religieuses. 2005, tome 85 n° 1, janvier-Mars 2005. La réformation un temps, des hommes, un message. Hommage à Marc Lienhard à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire. pp. 137-150. www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2005_num_85_1_1122

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.