Les grands accords œcuméniques du XX° siècle II

 

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XL Les grands accords œcuméniques du XX° siècle II

 

La déclaration conjointe sur la doctrine de la justification par la foi (DCDJ) (1999)

 

 

     Un peu de vocabulaire pour commencer : On trouve beaucoup d’articles qui parlent de déclaration commune. La page de recherche Google est à ce sujet révélatrice.
     Or il faut être précis: même si dans la déclaration on trouve « ensemble nous déclarons que…» chaque Eglise signataire, et par la suite les Eglises ou fédération d’Eglises qui s’y sont associées, ont tenu à rédiger un addendum pour préciser ce que signifiait leur adhésion.
     Il s’agit donc bien pour chaque Eglise ou fédération d’Eglises de déclarer conjointement que leur manière d’exprimer la doctrine de la justification par la foi n’est pas séparatrice des autres Eglises ou fédération d’Eglises signataires, mais que cette expression ne peut être pleinement commune en l’état des choses.
GF

 

La déclaration conjointe sur la doctrine de la justification (DCDJ) [1] de la Fédération luthérienne mondiale et de l’Église catholique a été signée à Augsbourg le 31 octobre 1999 par le cardinal Cassidy, représentant de l’Église catholique, et l’évêque Krause, président de la Fédération mondiale luthérienne. Le choix d’Augsbourg pour cette signature était particulièrement symbolique, et se voulait un écho à la Confession d’Augsbourg considéré comme le point de divergence théologique fondamental entre catholiques et luthériens.

Un peu d’histoire [2]

 

     Ce qui importe au professeur Luther jusqu’en 1515 c’est la question: qui est sauvé ? Et plus important encore : serai-je sauvé ?

     À cette question, l’Église apporte une réponse qui le plonge dans le tourment. Pour obtenir le salut, dit-elle, il faut refuser le péché, recevoir les sacrements et agir comme Dieu le demande. Refuser le péché ? Luther pense, que notre tendance peccamineuse est si forte que nous ne pouvons lui échapper. L’homme reste pécheur toute sa vie : s’il doit compter sur ses mérites, il est ne peut être trouvé digne du salut.  Alors nous serons damnés. Alors je serai damné. Cette idée, bien sûr, lui semble incohérente avec un Dieu sauveur.

Une Europe inquiète

     Le Réformateur n’est pas une anomalie dans l’Europe des premières années du XVIe siècle. Si Luther est angoissé, l’époque l’est aussi. Dans ce contexte, la préoccupation du salut personnel devient centrale.

     C’est nouveau. Aux siècles précédents, l’individu ne pesait guère, et le salut était une conception beaucoup plus communautaire. Cette angoisse des hommes qui s’inquiètent de savoir ce qu’il adviendra d’eux personnellement dans l’au-delà se traduit par la multiplication des Ars moriendi – ou « art de mourir » –, de petits livres de piété qui permettent aux chrétiens de se préparer au grand passage.

     Luther, lui, se plonge dans les Écritures pour y trouver les réponses à sa quête de sens et sa peur de la damnation. Et finalement, au cours de l’année 1515, il trouve. C’est dans la Lettre de saint Paul aux Romains (3, 28) : « L’homme est justifié par la foi, indépendamment des œuvres de la Loi. »

     Pour Luther, la conclusion à tirer est simple : « Les péchés nous sont remis non à cause de nos œuvres, mais par la seule miséricorde de Dieu, qui ne nous les impute pas. » Et il précise encore : « Nous sommes pécheurs à nos yeux et malgré cela nous sommes justes devant Dieu par la foi. » Que veut dire le théologien allemand ? Que le salut provient de la seule grâce de Dieu, accordée gratuitement, qui suscite la foi dans le cœur du croyant. Sola gratia, sola fide « la grâce seule, la foi seule ». Ces deux points fondamentaux réunissent l’ensemble des confessions protestantes. La perversion radicale que l’homme porte en lui depuis le péché originel devrait nous condamner au feu éternel. Mais Dieu pardonne sans contrepartie, et le chrétien qui a confiance en Lui est sauvé : voilà le fin mot de la justification par la foi.

Contre les indulgences

     L’idée n’est pas neuve : on la trouve chez saint Augustin (354-430) – et Luther, précisément, est un temps membre de l’ordre des Augustins. L’évêque d’Hippone, dans une controverse qui l’avait alors opposé au moine Pélage, avait en effet défendu l’idée que c’est la grâce de Dieu qui sauve et non ce que fait ou ne fait pas le chrétien durant son existence. L’orientation d’Augustin l’avait emportée, et il avait même été fait Père de l’Église. En défendant la justification par la foi, Luther est donc bien loin d’imaginer être suspecté d’hérésie.

     La foi seule sauve et non les œuvres. Et surtout pas les fausses bonnes œuvres acquises par l’argent. Le 31 octobre 1517, Luther l’affirme pour la première fois au grand jour. Dans les 95 thèses qu’il placarde sur les portes de l’église de Wittenberg, il s’en prend aux indulgences. De quoi s’agit-il ? De remises de peine que les fidèles peuvent acheter en espèces sonnantes et trébuchantes afin de raccourcir le séjour au purgatoire de défunts qui leur sont chers, ou pour préparer leur propre trépas en limitant autant que possible la durée de leurs souffrances à venir dans le feu purificateur.

Sitôt que la pièce sonne dans le tronc, l’âme s’envole du purgatoire.

Johann Tetzel o.p.

    La foi seule sauve et non les œuvres. Et surtout pas les fausses bonnes œuvres acquises par l’argent. Le 31 octobre 1517, Luther l’affirme pour la première fois au grand jour. Dans les 95 thèses qu’il placarde sur les portes de l’église de Wittenberg, il s’en prend aux indulgences.

     De quoi s’agit-il ? On a un peu raccourci le débat à son aspect financier (remises de peine que les fidèles peuvent acheter en espèces sonnantes et trébuchantes afin de raccourcir le séjour au purgatoire de défunts qui leur sont chers, ou pour préparer leur propre trépas en limitant autant que possible la durée de leurs souffrances à venir dans le feu purificateur. Mais c’est bien à cause de cet aspect financier que Luther est poursuivi d’abord par l’évêque et ensuite par le pape.). Ce n’est pas la seule pratique du commerce des indulgences que critique Luther, c’est aussi ce qui la fonde : l’idée que l’homme peut contribuer à son propre salut. La question de la justification est donc bien au cœur de la rupture de 1517.

Un rapprochement 

     Face à Luther, l’Église ne remet nullement en question sa doctrine, qui sera d’ailleurs confirmée et approfondie par le concile de Trente (1545-1563) : pour elle, si la grâce de Dieu est nécessaire, les œuvres aussi contribuent au salut. Les œuvres, c’est-à-dire ce qu’un chrétien fait dans la perspective de son salut.

      De quoi s’agit-il ? De la réalisation d’un certain nombre de pratiques, comme l’assistance à la messe ou la récitation de prières, mais aussi de la réception des sacrements, indispensables « moyens du salut », ou encore de ce que l’on entend habituellement par l’expression « bonnes œuvres », c’est-à-dire les actes charitables que le Christ attend de ses fidèles. Le chapitre 25 de l’Évangile de Matthieu en particulier justifie cet attachement aux œuvres chez les catholiques. Le salut y apparaît comme une récompense accordée, au jour du Jugement, à ceux qui ont bien agi, ont donné à boire et à manger aux pauvres, ont visité les prisonniers, ont consolé les affligés. Les œuvres, donc, ne sauraient être suffisantes pour se sauver, mais elles sont malgré tout nécessaires.

Alors que la justification est à l’origine de la rupture entre catholiques et protestants, c’est paradoxalement sur cette question que le rapprochement le plus important a été réalisé par la DCDJ.

Le plan

  L’ ensemble comporte quarante quatre numéros, sous le titre « La Doctrine de la justification » auquel a été adjoint le sous-titre « Déclaration commune de la Fédération luthérienne mondiale et de l’Église catholique romaine ».

    • On a tout d’abord un Préambule ; il situe brièvement le texte qui va suivre à la fois dans le contexte qui a conduit à son élaboration et selon la finalité que lui donnent ses signataires (n° 1 à 7).
    • Vient alors un premier développement, consacré au message biblique concernant la justification. Les membres des deux Eglises se sont mis « à l’écoute de la Parole de Dieu dans l’Ecriture Sainte » (n° 8-12). Fondamentalement, ils entendent bien ne faire qu’en répercuter l’enseignement.
    • Reprenant, pour en souligner l’importance, un point qui est déjà venu dans le préambule, un deuxième développement, très bref (le n° 13), vient souligner le caractère « fondamental et indispensable d’une réflexion sur la justification».
    • Du n° 14 au n° 18, est exposé ce qui est appelé la « compréhension commune de la justification». C’est un fait, nous dit-on, que sur ce point de doctrine capital, il y a « consensus dans les vérités fondamentales ».
    • Cette compréhension commune est ensuite explicitée, puis développée en détail.

     Sept points sont alors successivement abordés, dans le but de manifester comment les deux instances partenaires se situent à propos de chacun d’eux.

    • Le premier prend en compte la position de départ, qui est celle de l’homme devant Dieu : avant de parler d’une justification, on traite de la situation de celui qui est susceptible de la recevoir. Celle-ci est caractérisée comme « I’ incapacité et le péché de la personne humaine face à la justification» (n° 19 à 21).
    • Un deuxième point expose que l’intervention de la justification a pour effet de pardonner le péché et de rendre juste (n° 22-24), avant qu’un troisième point vienne préciser que cet effet est atteint « par la grâce moyennant la foi» (n° 25-27).
    • On continue en détaillant assez longuement ce qui résulte en l’homme de la justification que Dieu lui donne en Christ, à savoir : l’état (ou l’existence) de « pécheur justifié» (n° 28-30).

    Restent trois points pour exposer quelques conséquences de la justification ainsi donnée à l’homme, et qui le met en l’état qui a ensuite été précisé. On nous explique successivement :

    • Comment comprendre le passage, effectivement accompli pour le justifié, du régime de la Loi à celui de l’Evangile (n° 31-33) ;
    • La certitude du salut dans laquelle il est désormais établi (n° 34-36) ;
    • La valeur salvifique réelle des bonnes œuvres qu’il est en mesure d’accomplir une fois justifié (n° 37-39).

     L’ensemble du document se clôt sur un dernier développement, qui consacre les cinq derniers numéros de la Déclaration (n° 40-44) à la signification et à la portée du consensus obtenu.

Un accord largement reçu

 

Déclaration entre luthériens et catholiques à Augsbourg 

 

     La déclaration a été signée à Augsbourg le 31 octobre 1999 [3] par le cardinal Edward Cassidy, représentant de l’Église catholique, et l’évêque Christian Krause, président de la Fédération mondiale luthérienne.

Elle constitue une étape fondamentale dans le rapprochement entre l’Église catholique et les Églises luthériennes.

Déclaration entre méthodistes, catholiques et luthériens à Séoul

 

       Le 18 juillet 2006 la déclaration a été signée [4] par le Conseil méthodiste mondial  en présence du cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, du révérend Ismael Noko, secrétaire général de la Fédération luthérienne mondiale et du pasteur Samuel Kobia, lui-même méthodiste et secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises (COE) et approuvé lors des travaux de la Conférence mondiale des méthodistes le 23 juillet 2006 à Séoul (Corée du sud) [5].

     Le Conseil méthodiste mondial regroupe les Eglises méthodistes de 132 pays rassemblant environ 75 millions de fidèles, selon le site de l’Eglise méthodiste. Il représente un courant du protestantisme né au XVIIIe siècle en Angleterre sous l’impulsion de John Wesley

     Le Conseil méthodiste a également adopté une résolution autorisant la poursuite d’un dialogue débuté en 1966 avec l’Eglise catholique avec pour objectif la pleine communion dans la foi, la mission et la vie sacramentelle.

Déclaration entre la Communion Mondiale d’Eglises Réformées (CMR) et les Eglise Catholiques, Luthériennes et Méthodistes à Wittenberg

 

     Un demi-millénaire après que Martin Luther a affiché ses 95 thèses sur la porte d’une église à Wittenberg, la Communion mondiale d’Églises réformées (CMER) qui constitue l’une des entités les plus importantes du monde protestant (environ 80 millions de fidèles) s’est associée officiellement à la déclaration sur la justification lors d’un culte œcuménique le 5 juillet 2017 à l’église de Wittenberg, avec des responsables des Églises catholiques, luthériennes et méthodistes [6].

 

La Communion Anglicane rejoint la Déclaration Conjointe sur la Doctrine de la Justification

     Le 31 octobre 2017, dernier jour de l’année jubilaire marquant le 500e anniversaire de la Réforme protestante, au cours d’un service spécial à l’abbaye de Westminster, des représentants de la Fédération luthérienne mondiale et de l’Église catholique romaine ont reçu l’affirmation par la Communion anglicane de la Déclaration commune sur la doctrine de la justification.

     Justin Welby  archevêque de Cantorbéry, Primat de la Communion Anglicane, a présenté au secrétaire général de la FLM, le révérend Martin Junge, et au secrétaire du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, l’évêque Brian Farrell, la résolution de 2016 du Conseil consultatif anglican (ACC) « saluant et confirmant le contenu de le JDDJ.

     L’événement s’est déroulé en présence des secrétaires généraux du Conseil Méthodiste Mondial (CMM) et de la Communion mondiale des Églises réformées (CMER ), respectivement le révérend Ivan Abrahams et le révérend Dr Chris Ferguson. [7]

 

[2] Intervention de Mgr Joseph Doré lors de la journée d’étude sur la DCDJ de la Commission doctrinale et de la Commission pour l’unité des Chrétiens :  https://www.portstnicolas.org/pont/l-oecumenisme/enjeux-et-contenu-de-la-declaration-commune-luthero-catholique-sur-la-justification
[3] Pour l’histoire du texte et sa théologie voir : FEDOU Michel. L’accord luthéro-catholique sur la justification dans la NRT 122-1 (2000) p. 37-50 en ligne in : https://www.nrt.be/fr/articles/l-accord-luthero-catholique-sur-la-justification-474
[6] Déclaration méthodiste d’association avec la Déclaration Conjointe sur la Doctrine de la Justification :  https://www.anglicancommunion.org/media/460312/ecumenism_joint-declaration_2019_fr.pdf
[7] Conseil consultatif anglican Résolution 16.17. in : https://www.anglicancommunion.org/media/460312/ecumenism_joint-declaration_2019_fr.pdf p. 43

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