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Quels choix pour exprimer l’unité ?
Un article de sr Blandine Lagrut ccn. paru dans FOI
Ces derniers mois, un foisonnement d’initiatives ont vu le jour. Le Festival à Portimao avec des propositions adaptées pour les jeunes d’autres confessions, le mini-festival « Rooted in Unity » en partenariat avec la paroisse anglicane lors des JMJ à Lisbonne, la préparation de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens par les frères et sœurs du Burkina Faso, la fondation de la « Community at the Crossing » sur l’appel de la Cathédrale épiscopalienne de New York, les événements autour des « 50 ans de la Communauté » avec, à chaque fois, des représentants de différentes Églises.
Un printemps œcuménique !
Et en même temps, nous sommes interpellés : « Cette joie nous fait aussi prendre au sérieux le souci exprimé lors de l’année capitulaire : n’y aurait-il pas une distorsion entre ces avancées prometteuses au niveau global et l’expérience vécue localement ?1» Sur le terrain, dans nos maisons et nos fraternités, la « passion pour l’unité » impacte-t-elle vraiment nos organisations et nos choix de mission ? L’appel à l’unité transforme-t-il nos manières de prier, de rire et de pleurer ?
Continuer l’effort de « traduction »
Depuis les débuts, « l’humble chemin de la vie quotidienne partagée 2 » nous a permis de découvrir d’autres confessions et de reconnaître les dons spécifiques de chaque Église. Petit à petit, nous apprenons à devenir « l’ami de la meilleure part de l’autre ». Nous cherchons à la fois à écouter l’autre dans sa différence et à rendre audible notre propre tradition. Autour du café, les discussions prennent parfois cette forme : « Ton Église insiste sur tel et tel aspect, ai-je bien compris ? Sur ce point mon Église pense différemment, voilà comment je comprends les choses… » On est dans l’étape de la traduction.
Mais le chemin ne s’arrête pas là. L’effort de la traduction doit ouvrir sur une étape de conversion. A l’endroit même de ses convictions les plus ancrées, chaque Église est appelée à redéfinir son identité. Il s’agit de penser non seulement à partir de nos différences bien réelles, mais aussi « à partir de la communion espérée 3.» Le fait de mieux nous connaître dans nos confessions respectives ne doit pas nous faire oublier qu’il nous faut apprendre à regarder dans une perspective œcuménique. Certes, nos Églises, dans leurs différences, cheminent vers la réconciliation.
Prendre au sérieux la grâce de conversion
Mais on peut décrire cette dynamique d’une manière plus engageante, comme l’ont fait récemment les théologiennes et théologiens du Groupe des Dombes en confessant : « nous formons une seule Église, bien qu’en communion encore imparfaite 4.» Autrement dit, la vie nouvelle en Christ reçue par le baptême est le fondement actif et permanent d’une communion déjà présente. La question qui guide nos échanges est alors légèrement différente : « Nous avons été baptisés dans le même Esprit Saint. Quels gestes, quels choix, quelles attentions expriment, au concret, cette unité déjà vivante entre nous ? » Il ne s’agit plus seulement de traduire nos identités mais de se disposer sérieusement à recevoir la grâce qui va les transformer. « Les points de repères pour nos pratiques œcuménique et la relation au judaïsme » sont là pour nous aider à rendre manifeste le « déjà là » de l’unité capable de convertir nos identités.
« Nous avons été baptisés dans le même Esprit Saint. Quels gestes, quels choix, quelles attentions expriment, au concret, cette unité déjà vivante entre nous ? »
Se tenir sur les intersections
Nous partageons avec les musulmans la croyance en un Dieu unique et miséricordieux 7. Cette intersection doit nous encourager à entrer résolument dans une connaissance mutuelle. Dans un des comptes-rendus de l’année capitulaire, les frères et sœurs de Thibirine 8 résumaient leur situation ainsi : « Nous avons besoin de formation. Mais la rencontre quotidienne avec les nombreux visiteurs musulmans en est le point de départ. Ils posent souvent des questions sur notre foi, avec des motivations diverses bien sûr. Il nous faut partir de leur regard, leur vision, comprendre ce qu’ils mettent derrière ces questions et les mots qu’ils emploient, pour pouvoir avoir une chance de se comprendre et de se faire comprendre.» Leur texte rappelait les mots qui leur furent adressés par Mgr Claude Rault, évêque émérite du Sahara : « Enracinez-vous dans la prière et laissez l’Esprit Saint ouvrir la porte. Venez et voyez. Ne cherchez pas ce qu’il faut faire. »
Chercher honnêtement la paix
Dans sa nature même, l’œcuménisme est un mouvement pour la paix. Ces dernières années ont été marquées par une recrudescence des haines anti-religieuses 9 (antisémitisme et islamophobie). On assiste un peu partout à des formes de polarisation où les arguments religieux, y compris chrétiens, sont utilisés de manière abusive pour justifier des objectifs politiques 10. Les Églises réagissent de manière concertée et sans équivoque contre ces tendances. Nous pouvons, nous aussi, les soutenir au niveau local, en rappelant les principes mêmes de la démarche œcuménique
Ces principes nous enseignent comment maintenir le dialogue en cas de controverses :
- Prendre le temps de repartir du commun avant d’aborder les sujets plus délicats.
- Parler sans timidité des différences voire des contentieux, tout en adoptant un langage qui soit facilement accessible.
- Devenir davantage conscients des exagérations fausses et de la nécessité de purifier nos mémoires collectives.
- Connaître les méthodes qui ont permis de dépasser des points de désaccords dont on a pensé, pendant des siècles, qu’ils seraient infranchissables (par exemple : le principe de hiérarchie des vérités 11 le consensus différencié 12. )
- Désirer non pas une vérité qu’on possède mais une vérité vers laquelle on s’oriente dynamiquement.
Dans sa nature même, l’œcuménisme est un mouvement pour la paix.
En nous appelant à travailler pour l’unité, le Seigneur nous a « calibrés » pour œuvrer dans des contextes pluriels, où les vérités se croisent plus qu’elles ne s’excluent. Il nous faut faire confiance à notre appel œcuménique car à travers lui Dieu lui-même nous équipe pour devenir des artisans de paix.
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Sr Blandine Lagrut
Communauté du Chemin-Neuf
Docteure en Philosophie, Facultés Loyola, Paris
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[1] Motion sur l’œcuménisme, août 2023.
[2] Constitutions de la Communauté du Chemin Neuf.
[3] L’expression a été reprise plusieurs fois par des théologiens comme Michel Fédou, Anne-Cathy Graber.
[4] Cette confession de foi sert de leitmotiv au dernier document du Groupe des Dombes dont Anne-Cathy Graber est l’une des rédactrices : Groupe des Dombes, « De toutes les nations »: pour la catholicité des Églises, Paris, les Éditions du Cerf, 2023.
[5] Pape Jean-Paul II, Discours à la synagogue de Rome, 1986.
[6] Rm 9,4. Cf. pour l’Église catholique romaine , le texte de Vatican II, Lumen Gentium au §16 reprend les mêmes termes.
[7] Cf. La Charte œcuménique européenne (dont une nouvelle révision sortira prochainement) https://archivesweb.cef.fr/public/historique.cef.fr/historique.cef.fr/catho/vieglise/oecumenisme/charte.html
[8] Compte-rendu des premières journées capitulaires « L’Algérie, ou comment aller plus loin dans la rencontre avec les musulmans », décembre 2022.
[9] Pour donner un cadre philosophique et pratique à ces questions, on peut se référer à Paul Hedges, Religious Hatred: Prejudice, Islamophobia and Antisemitism in Global Context, New-York, Bloomsbury Academic, 2021.
[10] On peut lire les analyses d’Andrea Riccardi, le fondateur de la communauté de San Egidio sur le retour des « nationalismes catholiques » en Europe. Cf. L’Église brûle, crise et avenir du christianisme, Cerf, 2022.
[11] Concile Vatican II, Unitatis Redintegratio, 11.
[12] Déclaration Conjointe sur la Justification de la Fédération Luthérienne Mondiale et l’Église Catholique 31 octobre 1999