Au Chemin-Neuf, la responsabilité est partagée entre hommes et femmes

Série « Les femmes, l’avenir de Dieu ? » (14/15)

Enquête: Dans la communauté charismatique née à Lyon, le partage des missions est très égalitaire, entre prêtres, frère et sœurs consacrés et laïcs communautaires. Cela produit des relations plus simples et fraternelles. Et des prêtres moins cléricaux.
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« Bon. Pendant que vous allez continuer à échanger avec ces dames durant le café, nous, les hommes, allons faire la vaisselle. »

Le père François Michon, 53 ans, part d’un grand éclat de rire. Pendant le déjeuner, les cinq femmes et quatre hommes de la coordination générale du Chemin-Neuf ont échangé sur la place des femmes au sein de la communauté charismatique née en 1973 à Lyon. Son supérieur (« berger ») n’est pas mécontent de montrer que les frères, prêtres et laïcs, prennent tout naturellement leur part de service…

Auparavant, durant la messe quotidienne à la maison d’accueil de Saint-Sulpice-de-Favières (Essonne), héritée des dominicaines de Béthanie en 2015, l’homélie avait été prononcée par une femme, luthérienne, Michaela Borrmann, 48 ans. Là encore, cela semble couler de source. « Ça arrive… Mais ce n’est pas une revendication, explique cette sœur consacrée, responsable de la communauté en Allemagne. Nous n’ignorons pas que dans l’Église catholique, la prédication est du ressort d’un prêtre. »

« Depuis notre fondation par cinq hommes et quatre femmes, la promotion de cesdernières est une évidence, raconte le père Laurent Fabre, 79 ans, berger durant quarante-quatre ans, jusqu’en 2016. C’est lié à l’influence de Mai 68, à notre inscription dans le renouveau charismatique et à notre caractère œcuménique : quel que soit son état de vie, chacun a voix au chapitre. »

L’ancien jésuite habite aujourd’hui à l’abbaye de Melleray à La Meilleraye-de-Bretagne, en Loire-Atlan­ti­que, où se trouve le noviciat international d’une communauté qui compte désormais 2 200 membres : 400 célibataires consacrés (180 hommes et 220 femmes) et 1 800 laïcs, dont un quart est en fraternité de vie.

 

Une collaboration qui est une grâce
Dans les constitutions, élaborées en 1982, la question de la place des femmes n’est pas spécifiquement abordée. Pas plus que celle des états de vie : « Couples, familles, célibataires consacrés, hommes et femmes ont choisi la vie communautaire à la suite du Christ pauvre et humble pour se mettre au service de l’Église et du monde », indique le document.

 

« Cette collaboration entre hommes et femmes, c’est une grâce. Nous n’avons pas la même manière de travailler, de parler aux frères et sœurs. Il y a beaucoup de sagesse là-dedans », commente Yvon-Amour Simbare, Burundais de 31 ans, frère consacré « en chemin vers la prêtrise » et responsable de l’abbaye de Melleray.

« Si la communauté n’était composée que d’hommes, il y aurait moins de communion 
entre nous… », reconnaît le père Michon. « Et si nous n’étions que des femmes, nous serions trop renfermées sur nous-mêmes ! », enchaîne Dagmara Klosse, 45 ans, sœur consacrée polonaise, responsable des célibataires consacrés. « Les personnes mariées ont une plus grande porosité au monde », complète Valentine Hodara, 61 ans, femme mariée, responsable du sud-est de la France.
« Dans les postes à responsabilités, nous nommons une” troïka” dans laquelle nous essayons de panacher les états de vie, détaille Dagmara Klosse,  La gouvernance partagée évite la toute-puissance. »

 

« Je suis cheffe de mon mari… »
Pas toujours facile à expliquer à l’extérieur. Kasia Lukomska est responsable de la communauté en Pologne. « À ce titre, je suis cheffe de mon mari. Et de prêtres polonais… C’est un des miracles de l’Église, s’amuse-t-elle. Quand je rencontre un évêque, j’y vais cependant avec un frère. Il tombe souvent des nues quand il découvre que la responsable est mère de deux enfants. Consacrée, ça passerait. Mais femme mariée… »
À Rome, lorsqu’il rencontrait les responsables du dicastère pour les religieux, le père François Michon avait tendance, par prudence, à ne leur parler que de la vie de l’Institut pour les prêtres dont il est le supérieur, comme le père Fabre avant lui : « Un jour, le cardinal Braz de Aviz m’a dit :”Mais vos prêtres vivent au sein d’une communauté, avec des laïcs et des sœurs consacrés. C’est ça qui est aussi intéressant pour l’Église !” »
Ce « partage harmonieux des responsabilités » est ce qui frappe l’évêque d’Oran, le dominicain Jean-Paul Vesco, qui a côtoyé la communauté lors d’un grand rassemblement de jeunes à l’abbaye de Hautecombe l’été dernier. « La mission commune, c’est l’essentiel. Tout sauf des femmes au service des prêtres. Résultat, ces derniers sont plus simples et fraternels, moins cléricaux. » Laurent Fabre raconte d’ailleurs volontiers que, faute de statut canonique, les deux premiers prêtres formés au sein de la communauté étaient prêts à renoncer au sacerdoce s’ils avaient dû quitter le Chemin-Neuf. « Heureusement, notre évêque d’alors, le cardinal Renard, a trouvé une solution »

 

Des sœurs reconnues et valorisées
« La plupart des lieux de formation sont sous la responsabilité d’une femme. Ce n’est pas écrit, on a pris les plus aptes », relève François Michon. Résultat, une partie de la formation des prêtres se fait sous la responsabilité de femmes, pas forcément de confession catholique. « Un frère qui ne peut pas obéir à une sœur n’a pas sa place au Chemin-Neuf, tranche-t-il. Ça fait partie du discernement. »

De leur côté, les sœurs consacrées se sentent reconnues et valorisées. « Notre féminité n’est ni occultée, ni idéalisée. C’est décisif, s’enthousiasme Blandine Lagrut, 36 ans, enseignante aux Facultés jésuites du Centre Sèvres, à Paris. Nous sommes encouragées à trouver un déploiement original qui stimule et renforce le ministère sacerdotal. »

« Quand j’étais au Centre Sèvres, certains me disaient : “Pourquoi tu te formes ? Tu ne vas pas être prêtre !” », s’amuse Dagmara Klosse. Moins rapidement happées par les tâches apostoliques, les sœurs vont d’ailleurs souvent plus loin dans les études, si bien que le père Michon doit se battre pour pousser les frères en avant. À front renversé. Il vient d’ailleurs de remporter une « grande victoire » : « Cette année, nous avons plus de doctorants que de doctorantes ! »

 

Le geste que j’attends
« Mettre en avant la fécondité des relations hommes-femmes » Catherine Denis, 49 ans, communautaire du Chemin-Neuf depuis 25 ans, engagée à vie avec son mari depuis 10 ans, six enfants. Médecin, elle effectue actuellement un doctorat de théologie morale à l’Institut catholique de Paris (ICP).
« J’attends de mon Église qu’elle soit créative, qu’elle se laisse vivifier par l’Esprit pour avoir des idées nouvelles pour les femmes. Je ne suis pas convaincue par l’idée de faire un copié-collé des hommes : des diacres, des prêtres… À mon sens, il faut mettre en avant la fécondité des relations entre hommes et femmes dans toutes les situations où ils coexistent, pas seulement dans le couple ou la famille. Cette fraternité vécue, c’est le trésor que nous avons reçu, au Chemin-Neuf, qui porte beaucoup de fruits. Dans un monde qui donne en exemple les femmes seules, après avoir magnifié les hommes seuls, l’Église a un message fort à faire passer dans ce sens.”

Un article de Vincent de Féligonde
dans La Croix qui n’est pas sorti en version papier à cause de la grève.

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