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Unité des chrétiens: ni uniformité ni absorption, explique le pape

10 NOVEMBRE 2016

 Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens © L’Osservatore Romano

L’unité des chrétiens ne peut pas consister en une « uniformité » ni en une « absorption », a déclaré le pape François en recevant au Vatican les participants à la session plénière du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens le 10 novembre 2016. Il leur a confié que  l’unité des chrétiens est « une de (ses) principales préoccupations ».

Devant les participants réunis autour du thème « Unité des chrétiens : quel modèle de pleine communion ? », le pape a démasqué certains « faux modèles de communion » : l’unité n’est pas d’abord « un objectif » mais « un chemin » qui requiert patience et ténacité. Elle « ne supprime pas les conflits et n’efface pas les contrastes ».

« L’unité se fait en marchant », a insisté le pape François : « Quand nous marchons ensemble, (…) que nous prions ensemble, que nous collaborons dans l’annonce de l’Évangile et dans le service des laissés-pour-compte, nous sommes déjà unis. Toutes les divergences théologiques et ecclésiologiques qui divisent encore les chrétiens ne seront dépassées que sur ce chemin ».

L’unité n’est pas non plus « uniformité »: « Les différentes traditions théologiques, liturgiques, spirituelles et canoniques qui se sont développées dans le monde chrétien, lorsqu’elles sont authentiquement enracinées dans la tradition apostolique, sont une richesse et non une menace pour l’unité de l’Église. Chercher à supprimer une telle diversité, c’est aller contre l’Esprit-Saint ». Pour le pape François, « c’est un devoir œcuménique de respecter les légitimes diversités ».

Enfin, « l’unité n’est pas absorption », a poursuivi le pape : elle « ne comporte pas un œcuménisme ‘en marche arrière’ selon lequel chacun devrait renier sa propre histoire de foi ; et elle ne tolère pas non plus le prosélytisme ». « L’œcuménisme est vrai quand on est capable de détourner l’attention de soi, de se propres argumentations et formulations, vers la Parole de Dieu (…). Les différentes communautés chrétiennes sont appelées non pas à ‘se faire concurrence’ mais à collaborer ».

 

Discours du pape François

 

Messieurs les cardinaux,
Chers frères évêques et prêtres,
Chers frères et sœurs,

Je suis heureux de vous rencontrer à l’occasion de votre session plénière qui traite du thème « Unité des chrétiens : quel modèle de pleine communion ? »

Je remercie le cardinal Koch pour les paroles qu’il m’a adressées en votre nom à tous. Au cours de cette année, j’ai eu l’opportunité de vivre de nombreuses rencontres œcuméniques importantes, ici à Rome ou pendant mes voyages. Chacune de ces rencontres a été pour moi source de consolation parce que j’ai pu constater combien le désir de communion est vivant et intense. En tant qu’évêque de Rome et Successeur de Pierre, conscient de la responsabilité qui m’est confiée par le Seigneur, je désire redire que l’unité des chrétiens est une de mes principales préoccupations et je prie pour qu’elle soit toujours plus partagée par tous les baptisés.

L’unité des chrétiens est une exigence essentielle de notre foi, une exigence qui jaillit de l’intime de notre être en tant que croyants en Jésus-Christ. Nous invoquons l’unité parce que nous invoquons le Christ. Nous voulons vivre l’unité parce que nous voulons suivre le Christ, vivre son amour, jouir du mystère de son être qui est un avec le Père, qui est l’essence de l’amour divin. Jésus lui-même, dans l’Esprit-Saint, nous associe à sa prière : « comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, […] moi en eux, et toi en moi. Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. […] pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux. » (Jn 17,21.23.26). Selon la prière sacerdotale de Jésus, ce à quoi nous aspirons est l’unité dans l’amour du Père qui vient à nous, donné en Jésus-Christ, amour qui informe aussi la pensée et les doctrines. Il ne suffit pas d’être d’accord dans la compréhension de l’Évangile, mais il faut que nous tous, croyants, soyons unis au Christ et dans le Christ. C’est notre conversion personnelle et communautaire, notre configuration graduelle en lui (cf. Rm 8,28), notre vie vécue de plus en plus en lui (cf. Ga 2,20) qui nous permettent de grandir dans la communion entre nous. C’est l’âme qui soutient aussi les sessions d’étude et toutes les autres sortes d’effort pour parvenir à des points de vue plus rapprochés.

En gardant bien ceci à l’esprit, il est possible de démasquer certains faux modèles de communion qui, en réalité, ne portent pas à l’unité mais la contredisent dans son essence.

Avant tout, l’unité n’est pas le fruit de nos efforts humains ni le produit construit par des diplomaties ecclésiastiques, mais c’est un don qui vient d’en-haut.

Nous, les hommes, nous ne sommes pas en mesure de faire l’unité tout seuls, et nous ne pouvons pas en décider les formes et les temps. Quel est alors notre rôle ? Que devons-nous faire pour promouvoir l’unité des chrétiens ? Notre devoir est d’accueillir ce don et de le rendre visible à tous. De ce point de vue, l’unité, avant d’être un objectif, est un chemin, avec ses feuilles de route et ses rythmes, ses ralentissements et ses accélérations, et aussi ses haltes. L’unité comme chemin requiert des attentes patientes, de la ténacité, de la fatigue et de l’engagement ; elle ne supprime pas les conflits et n’efface pas les contrastes, au contraire, parfois elle peut les exposer au risque de nouvelles incompréhensions. L’unité ne peut être accueillie que par celui qui décide de se mettre en chemin vers un but qui, aujourd’hui, pourrait paraître plutôt lointain. Toutefois, celui qui parcourt cette route est réconforté par l’expérience continuelle d’une communion joyeusement entrevue, même si elle n’est pas encore pleinement atteinte, chaque fois qu’on laisse de côté la présomption et que l’on se reconnaît tous comme ayant besoin de l’amour de Dieu. Et quel lien nous unit tous, chrétiens plus que l’expérience d’être pécheurs mais en même temps objet de la miséricorde infinie de Dieu qui nous est révélée par Jésus-Christ ? De même l’unité d’amour est déjà réalité quand ceux que Dieu a choisis et appelés à former son peuple annoncent ensemble les merveilles qu’il a accomplies pour eux, surtout en offrant un témoignage d’une vie pleine de charité envers tous (cf. 1 Pi 2,4-10). C’est pourquoi, j’aime répéter que l’unité se fait en marchant, pour rappeler que quand nous marchons ensemble, c’est-à-dire  que nous nous rencontrons en frères, que nous prions ensemble, que nous collaborons dans l’annonce de l’Évangile et dans le service des laissés-pour-compte, nous sommes déjà unis. Toutes les divergences théologiques et ecclésiologiques qui divisent encore les chrétiens ne seront dépassées que sur ce chemin, sans que nous sachions aujourd’hui comment ni quand, mais cela adviendra selon ce que l’Esprit-Saint voudra suggérer pour le bien de l’Église.

En second lieu, l’unité n’est pas uniformité.

Les différentes traditions théologiques, liturgiques, spirituelles et canoniques qui se sont développées dans le monde chrétien, lorsqu’elles sont authentiquement enracinées dans la tradition apostolique, sont une richesse et non une menace pour l’unité de l’Église. Chercher à supprimer une telle diversité, c’est aller contre l’Esprit-Saint qui agit en enrichissant la communauté des croyants par une variété de dons. Au cours de l’histoire, il y a eu des tentatives de ce genre, avec des conséquences qui parfois font encore souffrir aujourd’hui. Si, au contraire, nous nous laissons guider par l’Esprit, la richesse, la variété, la diversité ne deviennent jamais un conflit parce qu’Il nous pousse à vivre la diversité dans la communion de l’Église. C’est un devoir œcuménique de respecter les légitimes diversités et de porter à dépasser les divergences inconciliables avec l’unité que Dieu demande. La permanence de ces divergences ne doit pas nous paralyser mais nous pousser à chercher ensemble la manière d’aborder ces obstacles avec succès.
Enfin, l’unité n’est pas absorption.
L’unité des chrétiens ne comporte pas un œcuménisme « en marche arrière » selon lequel chacun devrait renier sa propre histoire de foi ; et elle ne tolère pas non plus le prosélytisme qui est au contraire un venin pour le chemin œcuménique. Avant de voir ce qui nous sépare, il faut percevoir aussi de manière existentielle la richesse de ce qui nous est commun, comme l’Écriture Sainte et les grandes professions de foi des premiers conciles œcuméniques. Ce faisant, nous, chrétiens, nous pouvons nous reconnaître comme frères et sœurs qui croient dans l’unique Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, engagés ensemble à rechercher la manière d’obéir aujourd’hui à la Parole de Dieu qui nous veut unis. L’œcuménisme est vrai quand on est capable de détourner l’attention de soi, de se propres argumentations et formulations, vers la Parole de Dieu qui exige d’être écoutée, accueillie et qu’on en témoigne dans le monde. C’est pourquoi, les différentes communautés chrétiennes sont appelées non pas à « se faire concurrence » mais à collaborer. Ma récente visite à Lund m’a rappelé combien est actuel ce principe œcuménique formulé par le Conseil œcuménique des Églises dès 1952, qui recommande aux chrétiens de « tout faire ensemble, sauf dans les cas où les profondes difficultés de convictions imposeraient d’agir séparément.

Je vous remercie pour votre engagement, je vous assure de mon souvenir dans la prière et je compte sur la vôtre pour moi. Que le Seigneur vous bénisse et que la Vierge Marie vous protège.»

 

© Traduction de Zenit, Constance Roques

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Qui était Dietrich Bonhoeffer ?

Qui était Dietrich Bonhoeffer ?

Présentation par le Pasteur Yves Noyer, à l’occasion de la soutenance de son mémoire de Master de théologie à l’Institut Protestant de Théologie de Paris le 9 décembre 2016

 

 
Allemand et protestant, né le 4 février 1906 à Wroclaw (Poméranie orientale, dans l’actuelle Pologne), dans une famille nombreuse (8 enfants).
Son père est un psychiatre renommé. Sa mère est issue de la noblesse allemande.
Après de brillantes études secondaires il obtient le baccalauréat à 17 ans.
Il entreprend des études de théologie sanctionnées par une thèse de doctorat à 21 ans puis par une thèse d’habilitation à 24 ans.

 

Envoyé, en 1928, à Barcelone, comme vicaire de la paroisse protestante allemande, il passe ensuite une année à l’Union théological Seminary de New York.
Après ce séjour, il donne des enseignements dans la Faculté de théologie de Berlin, tout en étant pasteur d’une Église implantée dans un quartier populaire de Berlin. Il s’engage dans un des mouvements œcuméniques internationaux, « l’Alliance universelle pour l’amitié par les Églises », de 1931 à 1937.
En parallèle, dès 1933, il prend fait et cause pour cette fraction de l’Église protestante  d’Allemagne  qui  restera dans l’histoire sous le nom de l’« Église confessante » (Bekennende Kirche): en février 1933, lors d’une conférence sur le « Führer Prinzip » il montre le danger d’un glissement du rôle de conducteur (Führer) à celui de séducteur (Verführer). En avril, à la suite des premières lois contre les Juifs, il réagit par une étude sur leur place dans l’Église ; à nouveau en septembre de la même année lors d’un colloque œcuménique, il obtient le vote d’une résolution sur la question juive. Puis il participe à la rédaction, avec le pasteur Martin Niemoller, d’un texte à l’origine de la création de la «Ligue de détresse des pasteurs » (Pfarremotbund) qui accorda des subsides à tous les pasteurs protestants qui avaient dû quitter leur ministère en raison de leurs origines juives.
D’octobre 1933 à avril 1935, il est à Londres comme pasteur d’une des paroisses protestantes de langue allemande ; il y crée un mouvement de soutien en faveur de l’Église confessante et fait connaître la Déclaration théologique de Barmen, votée le 31 mai 1934 lors d’un Synode confessant réunissant des délégués des trois Églises luthérienne, réformée et unie d’Allemagne.
Il est appelé par la Direction provisoire de l’Église confessante pour diriger un séminaire clandestin, où il vécut une intense activité idéologique. Son activité d’enseignant se double de l’animation d’une vie communautaire dans une Fraternité. Ce séminaire est fermé par la Geheime Staats Polizei (connue sous le nom de Gestapo) en septembre 1937.

C’est de cette période que sont nés les trois ouvrages théologiques que [le pasteur Y.Noyer] présente dans [son]  mémoire : Vivre en disciple (1937), Tentation (1938) et De la vie communautaire (1938).

À la suite de cette fermeture, l’expérience est prolongée sous la forme plus discrète  de vicariats  collectifs -dans deux villages de Poméranie orientale- vécus en relation avec des pasteurs en poste, eux-mêmes aidés par des vicaires-étudiants. Ceci dura jusqu’en 1940, où à nouveau la Gestapo ferma ces deux vicariats collectifs.

Sollicité par son beau-frère, Hans Dohnányi un des responsables des Services secrets de l’Armée et sous ce couvert un des membres importants de la conjuration contre Hitler, qui fonctionna de 1938 à 1944, Bonhoeffer entra lui-même dans ces Services secrets et fut chargé d’une mission consistant à informer les Alliés par le biais des responsables œcuméniques, en particulier l’évêque anglican de Chichester, George Bell et le pasteur néerlandais  A. Visser’t Hooft, secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises en formation (de 1938 à  1948).

C’est en raison de documents pourtant cachés dans un lieu isolé, qui présentait les preuves accumulées par Dohnányi mais aussi les noms des principaux responsables de la conjuration, qui furent découverts en 1945 par la Gestapo, que Bonhoeffer -sur les ordres express d’Adolf Hitler- fut pendu dans le camp de concentration de Fossenbürg, le 9 avril 1945, en compagnie de l’amiral Canaris chef de l’abwehr (nom des services secrets), de son adjoint le général Oster et, d’autres membres de la conjuration. Furent aussi exécuté ses beaux-frères: Hans Von Dohnanyi et Rüdiger Schleicher, ainsi que son frère Klaus Bonhoeffer.

Que faut-il mettre  en valeur ?

 La pensée  théologique  de Bonhoeffer est cohérente, centrée  sur  le  Christ et « le Christ existant en tant que  communauté»: l’Église doit occuper un espace dans le monde pour pouvoir attester de la vérité de l’Evangile. Elle doit prendre en considération toute la réalité humaine, y compris en repérant que le Christ est « au milieu » du monde.
Une question toujours ouverte: « Dans un monde devenu majeur », comment  dire  Dieu  dans un monde sans dieu ? »
Sa pensée  est centrée sur  l’incarnation  de la Parole  de Dieu  en  jésus  de  Nazareth  qui nous  fait connaître qui es l’homme véritable.
Une cohérence humaine : ce que Bonhoeffer proclame dans la réflexion théologique est toujours en lien avec la vie qu’il mène. Sa conversion est clairement l’occasion pour lui de franchir une étape qualitative vers une harmonie encore plus grande: « Je n’étais pas encore devenu chrétien. La Bible m’a libéré de tout cela, en particulier le Sermon sur la montagne.  Depuis  tout a changé… »
Et surtout: «Je crois que je n’ai jamais beaucoup changé, si ce n’est à l’occasion de mes premiers voyages à l’étranger et sous l’influence, éprouvée pour la première fois consciemment, de la personnalité de mon père. J’ai alors renoncé au verbalisme en faveur de la réalité… Nous  n’avons vécu, ni l’un ni l’autre une rupture dans notre vie. Nous avons sans doute rompu consciemment, et de notre propre initiative,  avec beaucoup de choses…  Autrefois, il m’arrivait de languir après une telle rupture ; aujourd’hui, je  pense autrement. » (Lettre à E. Bethge)
Un engagement de toute sa personne après une réflexion et une prière arrivées au stade d’une conviction intime. Une illustration: le processus de réflexion en vue de prendre la décision de rentrer en Allemagne et de quitter le refuge  des  États-Unis, en toute conscience…
En bref, Dietrich Bonhoeffer est un véritable témoin du Christ, prenant pleinement au sérieux la réalité de notre époque mais comme habitée mystérieusement par le Christ. C’est à l’Église d’en faire découvrir la présence, par la mise en valeur des «dons de la grâce »( 1Co 12 ).

 

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Walter Kasper : Musique et unité «une communion des différences réconciliées»

Réflexions autour d’un concert à Trente pour les 500 ans de la Réforme

Le cardinal Walter Kasper voit “le final” du dialogue entre catholiques et protestants comme “une polyphonie », « une communion des différences réconciliées » sur « une base commune de la Parole de Dieu ».

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Ste Marie-majeure

Le  président émérite du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens a présenté le concert qui avait eu lieu le 16 novembre 2016 à Trente, dans le contexte d’une rencontre œcuménique pour les 500 ans de la Réforme.

Organisé par l’office de l’œcuménisme de la Conférence épiscopale italienne en collaboration avec la Fédération des Églises évangéliques en Italie, il s’est tenu dans l’église Sainte-Marie-Majeure qui à l’époque du Concile de Trente a été le siège des discussions théologiques qui ont conduit à la division des Églises.

 

« Nous avons fait des pas importants pour apprendre à jouer ensemble », a poursuivi le cardinal en filant la métaphore musicale, même si « la cacophonie du passé ne peut pas aujourd’hui être transformée en une symphonie harmonieuse ».

La recherche théologique et le dialogue œcuménique, ont marqué un « tournant dans la compréhension de la figure de Luther ». « Diabolisé » pendant des siècles, Luther est maintenant considéré comme un « homme religieux », un « témoin du Christ qui ne voulait pas construire une église réformée, mais voulait commencer une réforme, un renouvellement évangélique de toute l’Église. Aujourd’hui, nous parlons d’une nouvelle évangélisation ».

Le cardinal a évoqué le document commun sur la doctrine de la justification représentant une étape importante dans les relations des deux Églises.

Avec un autre document en élaboration sur « Église, Eucharistie et Ministère », a-t-il ajouté, « nous pouvons espérer parvenir à un consensus, si non complet, large ». « Le concert symphonique continue, a-t-il résumé, et comme une symphonie il se joue à plusieurs temps ».

Source: Zenit.org
Merci au pasteur Zoltan Zalay de nous avoir signalé cet article

 

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Martin Luther. Une perspective œcuménique

Dans ce texte qui est la conclusion d’une conférence donnée en Allemagne le 18 janvier 2016, le cardinal Walter Kasper, président émérite du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, fait un point d’étape dans le processus œcuménique entre luthériens et catholiques.

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Luther n’était pas un homme œcuménique au sens actuel du terme. Ses adversaires ne l’étaient pas davantage. Les deux camps étaient enclins à la polémique et à la controverse. Cela a conduit à des restrictions et à des durcissements des deux côtés. Les questionnements se sont intensifiés dès  le départ, de la question de la justice révélée dans l’Évangile et de la miséricorde de Dieu jusqu’à  la question de l’Église, spécialement la question du pape. Dès lors que le pape et les évêques refusaient de procéder à la réforme, Luther, sur la base de sa compréhension du sacerdoce universel, dut se contenter d’une ordination d’urgence. Il a néanmoins continué à avoir foi dans le fait que la vérité de l’Évangile se serait imposée d’elle-même et a ainsi laissé la porte fondamentalement ouverte pour une possible entente future.

Du côté catholique également, au début du XVIe siècle, de nombreuses portes restaient ouvertes. Il n’y avait pas d’ecclésiologie catholique  harmonieusement  structurée,  mais uniquement  des approches,   qui   étaient   plus   une   doctrine   sur   la   hiérarchie   qu’une véritable   ecclésiologie. L’élaboration   systématique   de   l’ecclésiologie   s’obtiendra  uniquement dans la théologie controversée comme antithèse à la polémique de la Réforme contre la papauté. La papauté devint ainsi, d’une façon jusqu’alors inconnue, le contreseing de l’identité du catholicisme. Les thèses et antithèses confessionnelles respectives se   conditionnèrent et se bloquèrent mutuellement.

Seul le récent œcuménisme a ouvert un peu plus la porte. Le dialogue s’est substitué à la controverse. Le dialogue ne signifie pas jeter à la mer ce que l’on a considéré jusqu’à présent comme la vérité. Seules des personnes qui, bien qu’ayant chacune leur point de vue, sont néanmoins disposées à s’écouter réciproquement et à apprendre les unes des autres, peuvent mener un authentique dialogue. Un tel dialogue n’est pas un événement purement intellectuel ; c’est un échange de dons. Cela présuppose de reconnaître aussi bien la vérité de l’autre que ses propres faiblesses, et la volonté d’affirmer sa propre vérité d’une façon qui ne blesse pas l’autre, de façon non polémique, mais de dire la vérité dans l’amour (Ep 4,15), soustrayant  aux controverses le poison de la division et en le transformant en don, de sorte que les deux parties grandissent dans la catholicité, entendue au sens originel et qu’elles grandissant ensemble,   qu’elles reconnaissant davantage la miséricorde de Dieu en  Jésus-Christ  et  lui  rendent ensemble témoignage face au  monde.

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1999 Déclaration commune sur la justification

Telle est la route parcourue depuis le dernier Concile, qui a tracé à cet effet une voie que l’on ne peut inverser – une voie, pas une solution toute prête ! La réception du concile Vatican II, même cinquante après sa conclusion, n’est pas encore arrivée à terme. Le pape François a inauguré une nouvelle phase dans un tel processus de réception. Il souligne l’ecclésiologie du peuple de Dieu, le peuple de Dieu en chemin, le sens de la foi du peuple de Dieu, la structure synodale de l’Église et pour la compréhension de l’unité, met en jeu une nouvelle approche intéressante. Il décrit l’unité œcuménique non plus avec l’image des cercles concentriques autour du centre romain, mais avec l’image du polyèdre [I], c’est-à-dire  d’une  réalité  à  multiples facettes,  pas  un  puzzle  assemblé  de l’extérieur, mais un tout et, s’il s’agit d’une pierre  précieuse, un tout qui reflète la lumière qui le frappe de manière merveilleusement multiple. En  se référant à Oscar Cullman, le pape François reprend le concept de la diversité réconciliée. Dans l’exhortation apostolique Evangelii gaudium, son « essai programmatique », il part de l’Évangile et invite à une conversion pas uniquement de chaque chrétien, mais également de l’épiscopat et du primat.

Ainsi, sous-entend-on: au centre est placée l’exigence originaire fondamentale de Luther, à savoir l’Évangile de la grâce et de la miséricorde, ainsi que l’appel à la conversion et au renouveau.

Non seulement l’histoire de la réception du dernier Concile, mais également l’histoire de la réception de Luther est loin de toucher à sa fin, pas plus dans l’église catholique que dans les églises évangéliques [II]. Il y a  aussi un oubli et une extranéité (qualité de ce qui est extérieur, étranger. ndr) de Luther [par rapport à] la partie évangélique.
Pensons à la doctrine relative à la Cène et à la piété eucharistique. Celle-ci montre que Luther, contre Zwingli, est resté fermement fidèle à une compréhension réaliste de l’Eucharistie et qui ne peut être bloquée de façon rigide dans le schéma d’une religion de la pure intériorité.
Pensons en outre à la compréhension du ministère de Luther de la maturité, à son ouverture fondamentale à l’égard de l’épiscopat historique, de même qu’à son affirmation qu’il aurait encensé et embrassé les pieds d’un  pape  qui  aurait  accueilli  et reconnu  son  Évangile.

Il  n’est  pas  possible  pour  cette raison de  se  référer  uniquement  aux affirmations  polémiques  de  Luther.  Nous  devons  et nous pouvons plutôt reprendre  aussi  la question, fondamentale pour le progrès de l’œcuménisme, de la compréhension et du rapport entre Église, ministère et Eucharistie.

À cet égard, le fait de prendre au sérieux les aspects mystiques de Luther pourrait permettre de faire un pas en avant. Ceux-ci  ne  se  trouvent  pas  seulement  chez  le  jeune  Luther,  mais  également  chez  le   plus sympathique de ses importants écrits réformateurs: “Von der Freiheit eines Christenmenschen” (en français: la liberté du Chrétien [III]).

Cela pourrait ouvrir des possibilités de dialogue. En effet, unité et réconciliation n’arrivent pas seulement dans la tête, mais en premier lieu dans les cœurs, dans la piété personnelle, dans la vie quotidienne et dans la rencontre entre les personnes.

En d’autres termes, plus académiques : nous avons besoin d’un œcuménisme accueillant, en mesure d’apprendre  les  uns  des  autres.  Il  n’y  a  que  par  celui-ci  que  l’Église  catholique  peut réaliser concrètement et pleinement sa catholicité ; vice versa, l’instance originelle de Luther,  qui est au fond une exigence œcuménique, ne peut trouver une pleine  satisfaction que par le   biais  d’un œcuménisme  accueillant.  Nous  n’avons  encore  aucune  solution  commune,  mais une  possible perspective commune et une voie commune vers l’avenir est en train de s’ouvrir.   La voie vers la pleine unité est ouverte, mais celle-ci peut être longue et semée d’obstacles.

La contribution la plus importante de Martin Luther pour développer l’œcuménisme ne réside pas dans les approches ecclésiologiques demeurées ouvertes en lui, mais dans son orientation originelle vers l’Évangile de la grâce et de la miséricorde de Dieu et dans l’appel à la conversion. Le message de la miséricorde de Dieu était la réponse à son problème personnel et à son besoin, de même qu’aux interrogations de son temps ; celui-ci est aussi aujourd’hui la réponse aux signes des temps et aux questions pressantes de nombreuses personnes. Seule la miséricorde de Dieu peut assainir les profondes blessures que la division a infligées au corps du Christ qui est l’Église. Celle-ci peut transformer et renouveler nos cœurs, afin que nous soyons disposés à nous convertir, à faire montre de miséricorde entre nous, à nous pardonner  réciproquement  les injustices  du  passé,  à  nous réconcilier et à nous mettre en chemin pour nous retrouver ensemble, avec patience et pas à pas, sur le chemin vers l’unité dans la diversité réconciliée.

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“Jardin de Luther” à Wittenberg

En ce sens, je voudrais reprendre une phrase qui a été attribuée à Martin Luther. Comme le dicton sur l’Antéchrist, celle-ci se place dans une perspective eschatologique, mais est plus sereine,   plus détendue et orientée vers l’espérance. « Même si je savais que le monde devait disparaître demain, je planterais un pommier aujourd’hui encore ».

Le 1er novembre 2009, j’ai pu planter un petit tilleul dans le jardin de Luther à Wittenberg ; répondant à ce don, sous le mandat de mon successeur, les luthériens ont planté un olivier dans la basilique romaine de Saint-Paul-hors-les-Murs.

Celui qui plante un petit arbre nourrit l’espérance, mais a aussi besoin de patience. La graine doit en premier lieu grandir en profondeur et planter ses racines profondes pour pouvoir résister aux intempéries. Nous aussi devons aller “ad fontes et ad radices”. Nous avons besoin d’un œcuménisme spirituel dans la lettre commune de l’Écriture et dans la prière commune. En second lieu, l’arbrisseau doit grandir en hauteur et s’élever dans le ciel vers la lumière.

Nous ne pouvons « produire » l’œcuménisme, nous ne pouvons ltelechargement-2’organiser ou l’exiger par la force. L’unité est un don de l’Esprit Saint de Dieu. Nous ne pouvons mésestimer sa puissance, nous ne pouvons jeter l’éponge de façon précipitée et perdre l’espérance prématurément. L’Esprit de Dieu, qui a entamé l’œuvre de l’unité, la conduira à son accomplissement, une unité pas comme nous la voulons nous, mais comme lui la veut.

 

Enfin, le petit arbre doit grandir et prendre de l’ampleur, afin que les oiseaux du ciel puissent faire leur nid parmi ses branches (cf. Mt 13,32), c’est-à-dire afin que tous les chrétiens de bonne volonté trouvent leur place sous lui et dans son ombre. Conformément à l’image du polyèdre, nous devons permettre l’unité dans une grande multiplicité réconciliée, être disponibles à l’égard de toutes les personnes de bonne volonté et donner aujourd’hui déjà un témoignage commun de Dieu et de sa miséricorde.

telechargement L’unité est aujourd’hui plus proche qu’il y a cinq cents ans. Celle-ci a déjà commencé. En   2017, nous ne sommes plus, comme en 1517, sur la voie de la séparation, mais sur celle de l’unité. Si nous faisons preuve de courage et de patience, nous ne serons pas déçus au bout du compte. Nous nous frotterons les yeux avec reconnaissance, nous nous étonnerons de ce que l’Esprit de Dieu, peut- être  de  façon  totalement  différente  de  ce  que  nous  pensions,  nous  a  fait obtenir. Dans cette perspective œcuménique, 2017 pourrait être pour les chrétiens évangéliques et pour les catholiques une opportunité. Nous devrions savoir l’exploiter : cela ferait du bien aux deux Églises, à de nombreuses personnes qui nourrissent des attentes à cet égard et également au monde qui, surtout aujourd’hui, a besoin de notre témoignage commun.

(Texte publié dans l’Osservatore Romano en langue française, le 26 mai 2016.)

 

[I] Le pape François a exprimé cette conviction dans Evangelii gaudium, quand il écrit : « Le modèle n’est pas la   sphère, qui n’est pas supérieure aux parties, où chaque point est équidistant du centre et où il n’y a pas de différence entre un point et un autre. Le modèle est le polyèdre, qui reflète la confluence de tous les éléments partiels qui, en lui, conservent leur originalité. » (n. 236) ; DC 2014, n. 2513, p. 67.

[II] Le  terme  «  évangélique  »  utilisé  dans  ce  texte  –  «  églises  évangéliques  »,  «  partie  évangélique  »  ou  « chrétiens évangéliques » – est à comprendre au sens de « protestant » (Note du Service national pour l’unité des chrétiens).

[III] http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k932392w/f5.image.r=martin%20luther

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Le pilote, c’est l’Esprit-Saint: Cinq indications pour le cheminement œcuménique

Le pilote, c’est l’Esprit-Saint

 

0000kkoch-740x493L’œcuménisme peut se comparer à un avion qui a décollé rapidement mais qui, une fois en vol, semble avancer lentement, écrit le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, dans l’édition italienne de L’Osservatore Romano du 8 juillet 2016.

Il invite à ne pas oublier que le pilote de cet avion est l’Esprit-Saint. Il donne aussi cinq indications pour le cheminement œcuménique, tirées du récit évangélique des pèlerins d’Emmaüs.

 

Quand l’avion est en vol, il semble avancer lentement

En regardant ce dernier demi-siècle d’engagement œcuménique, la première comparaison qui me vient à l’esprit est le voyage en avion: celui-ci commence, après de longs préparatifs, par un roulement accéléré sur la piste et un décollage tout aussi rapide. À peine a-t-on atteint la bonne altitude et l’avion plane-t-il dans l’air que l’on a facilement l’impression de ne plus avancer, ou au moins de ne le faire que lentement. Toutefois, tous les passagers devraient être portés par l’espérance certaine que l’avion atteindra sa destination à coup sûr.
En ce qui concerne l’engagement de l’Église catholique pour l’unité entre les chrétiens, le concile Vatican II a été ce roulement accéléré sur la piste, par lequel l’Église a trouvé une nouvelle attitude envers le mouvement œcuménique. Mais après plus de cinquante ans, nous continuons, pour ainsi dire, à nous mouvoir encore dans l’air, ou au moins c’est ce qui peut sembler à beaucoup. Demeure pourtant légitime l’espérance que l’avion œcuménique lui aussi atterrira à coup sûr. Cela vaut plus encore si nous pensons au véritable pilote, l’Esprit-Saint, qui a initié ce voyage et qui le mènera certainement à son but.

 

À l’époque, la promulgation de Vatican II a suscité de grandes espérances et alimenté chez un bon nombre de personnes l’attente d’une unité imminente des chrétiens. Entre temps, il est apparu clairement que le cheminement œcuménique est plus long et aussi plus difficile que ce que l’on pensait alors. C’est pourquoi il est opportun de laisser l’image du voyage en avion pour passer à celle du cheminement terrestre et, plus précisément, au chemin des disciples vers Emmaüs, nous demandant ce qu’il peut nous dire pour les prochains pas dans la réconciliation œcuménique.

En premier lieu, il faut prendre au sérieux l’image du chemin. Dans la situation œcuménique actuelle, il est fondamental que les chrétiens, hommes et femmes, qui vivent dans des communautés chrétiennes différentes, soient en chemin ensemble sur la route vers l’unité et fassent ensemble tout ce qu’il est possible de faire ensemble. L’expérience œcuménique nous enseigne que l’unité croît en marchant et qu’être en chemin ensemble signifie pratiquer déjà l’unité. Cette perspective tient beaucoup à cœur au pape François surtout, qui a exprimé sa conviction œcuménique par ces paroles fortes : « L’unité ne viendra pas comme un miracle à la fin : l’unité vient sur le chemin, c’est l’Esprit-Saint qui la fait en chemin » (homélie de la solennité de la conversion de saint Paul apôtre, célébration des vêpres, 25 janvier 2014). C’est cette perspective qu’il faut aujourd’hui approfondir et surtout vivre concrètement.

Être en chemin ensemble 

c’est là la première indication que nous offre le récit profond tiré du chapitre pascal de Luc.
Nul doute que le chemin des disciples vers Emmaüs ne fut pas une partie de plaisir. Au contraire, les disciples sont pleins de tristesse pour ce qui s’est passé à Jérusalem et parlent entre eux et avec leur accompagnateur inconnu de ce qui ne leur donne pas la paix.
Et ainsi nous est donnée une seconde indication pour ce chemin :

l’œcuménisme authentique vit dans la participation mutuelle à la vie des autres,

dans la joie et dans la douleur, comme l’a exprimé Paul par cette belle image : « Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie. Or, vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps » (1 Cor 12, 26-27).
Actuellement, une démonstration particulière de cette règle de vie de la communion œcuménique se trouve dans le triste fait que nous devons assister à des persécutions de chrétiens dans une mesure unique dans l’histoire. Les chrétiens, aujourd’hui, ne sont pas persécutés parce qu’ils sont protestants ou pentecôtistes, orthodoxes ou catholiques, mais parce qu’ils sont chrétiens. Le martyre, aujourd’hui, est œcuménique, et nous devons parler d’un véritable œcuménisme des martyrs et d’un œcuménisme du sang. De fait, le sang de tant de martyrs dans le monde actuel ne divise pas mais unit. Dans la perception de cette réalité se trouve un grand défi que le pape François a exprimé par cette phrase mémorable : « Si l’ennemi nous unit dans la mort, qui sommes-nous pour nous diviser dans la vie ? » (Discours au mouvement du Renouveau dans l’Esprit, 3 juillet 2015). En effet, n’est-il pas humiliant que ceux qui persécutent les chrétiens aient parfois une meilleure vision œcuménique que nous, les chrétiens ? Je vois dans l’expérience de la persécution et du martyre, commune à tous les chrétiens, le signe le plus convainquant de l’œcuménisme aujourd’hui. Mais en Europe, le prenons-nous suffisamment au sérieux ?

Dans l’échange d’expériences de la souffrance, sur la route d’Emmaüs, les disciples regardent autour d’eux à la recherche d’une parole libératrice et ils se la laissent offrir par leur compagnon de voyage inconnu qui leur explique l’Écriture Sainte.

De là émerge la troisième indication qui consiste dans le fait que:

nous, chrétiens, nous nous approchons davantage les uns des autres quand nous écoutons ensemble la Parole de Dieu et que nous en parlons ensemble.

La Réforme et le schisme qui s’en est suivi au XVIème siècle étaient liés à une interprétation controversée de la Bible et sont arrivés jusqu’à l’intérieur de la Sainte Écriture. C’est pourquoi dépasser la division et retrouver l’unité ne peuvent devenir possibles que sur le chemin d’une lecture commune de la Sainte Écriture. Plus nous nous immergeons dans le mystère de Jésus-Christ et de sa parole, plus nous réussissons à trouver la route les uns vers les autres. Certes, les yeux des disciples d’Emmaüs ne se sont ouverts que quand le Seigneur a rompu le pain avec eux, réveillant ainsi dans leur cœur un désir profond d’unité.

La quatrième indication est donc la compréhension que:

nous, les hommes, nous ne pouvons pas faire l’unité tout seuls, ni en décider la forme et le temps, mais nous pouvons seulement nous la faire donner.

Nous, les hommes, nous pouvons créer des divisions : l’histoire comme le présent nous le démontrent. Nous ne pouvons que recevoir l’unité, en nous orientant vers la volonté de Jésus et en lui présentant ce désir dans la prière. Au commencement du mouvement œcuménique il y a eu l’introduction de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Il s’est agi, dès le début, d’un mouvement de prière et c’est seulement ainsi qu’il demeurera sur le chemin. La prière pour l’unité des chrétiens est, et continue d’être, le cœur battant de tout le chemin œcuménique.

Après leur rencontre personnelle avec le Seigneur ressuscité, les disciples se mettent de nouveau en marche : « À l’instant même, ils se levèrent ».

Cela nous donne, au sens littéral, la cinquième indication pour le chemin :

que les chrétiens qui, dans la rencontre avec le Christ, trouvent aussi l’unité entre eux, ne restent pas commodément assis mais qu’ils se mettent en chemin

et, comme les disciples, annoncent ce qu’ils ont appris, bien conscients que la crédibilité de leur témoignage ne dépend pas de façon substantielle du fait qu’ils se dépassent mutuellement, mais qu’ils cheminent ensemble. Notre préoccupation à nous, chrétiens, pour un bon avenir de l’Europe ne sera écoutée que si nous témoignons dans la communion œcuménique et la remplissons de vie.

 

Source: Zenit.org
© Original en italien, L’Osservatore Romano du 8 juillet 2016
© Traduction de Zenit, Constance Roques

Le pilote, c’est l’Esprit-Saint: Cinq indications pour le cheminement œcuménique Lire la suite »

La querelle des indulgences: les 95 thèses de Luther

95-theses

 

La querelle des Indulgences

 Affaire de conscience, affaire « d’Etat » ?

A la veille de la Toussaint 1517, Martin Luther, moine augustin, affiche ,ou n’affiche pas d’ailleurs, peu importe, ses thèses sur le « babillard », à côté de la porte de l’église du château de Wittenberg. Ce n’est pas un geste de provocation, c’est un affichage normal, pour une controverse, une « disputatio » : Carlstadt,quelques mois avant lui, avait fait de même. Luther donc souhaite engager un débat public. Il adresse, dans le même temps, un courrier à l’Archevêque Albert de Brandebourg, demandant que les prédicateurs modifient leurs pratiques :

« (…) Vénérable Père en Christ, illustre Prince… Que Votre Grandeur, me pardonne, si moi, le plus vil des hommes, j’ai la témérité de Lui écrire … Les Indulgences Papales sont colportées dans le pays sous le Nom de Votre Grandeur pour la construction de Saint Pierre … Je déplore les fausses idées que ces prédicateurs répandent partout. Ces malheureuses âmes se figurent que, si elles achètent des lettres d’indulgences, elles sont sûres de leur salut… C’est ainsi que les âmes confiées à vos soins … apprennent à marcher vers la mort … C’est pourquoi je ne puis me taire plus longtemps … Votre Grandeur pourra prendre connaissance de mes thèses ci-jointes. Elle verra combien la doctrine des Indulgences est discutable. »

L’Eglise Institution et le moine augustin  considèrent l’affaire des indulgences de deux points de vue différents. La première défend la pratique courante, ce que l’on peut appeler la tradition remontant dans l’ensemble au Moyen Age. Luther quant à lui se place du point de vue de l’Ecriture Sainte dont il est « lecteur » et montre la distorsion existant entre la pratique et la réalité scripturaire. Dès le début  de l’affaire, on ressent  comme un malentendu. C’est donc cette  dispute, cette controverse, bref cette querelle  qui va propulser Luther sur le devant de la scène politico-religieuse de son temps, car ses thèses vont  rapidement trouver  écho dans toute l’Allemagne et plus loin encore. L’affaire va donc être en quelque sorte « médiatisée ».

L’indulgence, rachat de la pénitence…

C’est dans la seconde partie du XI e siècle qu’apparaît la pratique de l’indulgence. Elle est en relation avec la pratique de la pénitence. Cette dernière était publique pour les fautes publiques et privée pour les fautes privées. C’est à partir du IX e siècle que la pratique de la pénitence privée prévaut. C’est le Concile de Latran en 1215  qui en décide ainsi en instituant officiellement la confession sacramentelle. Le fondement théologique de l’Indulgence est le pouvoir des clefs. Cela suppose que les successeurs de Pierre peuvent utiliser, en faveur des vivants et des morts, le Trésor infini des grâces acquises par la Passion du Christ et les mérites des Saints. Cette doctrine, qui n’apparaît pas dans les premiers siècles de l’Eglise, s’élabore peu à peu avec Alexandre de Halés (1180-1245), Bonaventure (12221-1274) Thomas d’Aquin (1224-1274).

Ce dernier distingue dans le péché un double élément : un élément matériel et un élément formel. Le premier est la concupiscence dont parle déjà Augustin, et le second est la privation de la grâce sanctifiante. Le péché en conséquence est puni ( pénitence) par une double peine, si l’on peut ainsi s’exprimer : une peine matérielle, temporelle : pena, et une peine spirituelle culpa. Thomas d’Aquin, à la suite de Pierre Lombard le maître des Sentences, divisait la pénitence  en trois parties : la contrition, la confession ,la satisfaction . Luther reviendra sur ces notions dans son Sermon sur l’Indulgence et la Grâce. Le « privilège de l’Indulgence » porte sur la satisfaction :pena . Prières, jeûnes et aumônes dispensent en quelque sorte de la peine temporelle. Mais la peine spirituelle, culpa, reste affaire d’absolution.

Or, au fur et à mesure  que le temps passe, ( X e siècle et Croisades) un glissement se fait de manière insensible, on passe de la commutation de la peine à la rémission de cette même peine. La Papauté,quant à elle, déclare que l’indulgence qu’elle proclame relève le pécheur de toute sa faute . Cette opinion n’est pas partagée par tous les Docteurs de l’Eglise et la question reste ouverte. Cependant la grande majorité des fidèles, ignorante des subtilités théologiques, pense que l’indulgence Papale remet la totalité de la peine. Peu de prédicateurs, il est vrai, l’en dissuadent. Les choses vont se compliquer lorsque Sixte IV(1471-1484) en 1476 va permettre l’assimilation entre prière et versement d’argent.

L’affaire se déclenche en 1517. Jules II, un Pape Médicis, ( 1503-1513), amoureux des Lettres et des Arts, grand Mécène,  décrète une Indulgence pour la construction de Saint Pierre de Rome en 1507. Cette Indulgence sera confirmée par son successeur Léon X en 1511, et en 1515 (Indulgence du Jubilé : Année Sainte tous les cinquante ans). L’Indulgence du jubilé a donné lieu a une abondante littérature, en particulier de Paltz, un des maîtres de Luther. Dans son travail, intitulé coelifodina, il distingue pour sa part entre le sacrement de pénitence qui réconcilie avec Dieu et l’Indulgence qui libère des peines. Le jubilé, pour lui, remet culpa et pena. L’absolution est donnée au nom de l’autorité pontificale. Il est bien entendu que le « pécheur » est repentant ! Ainsi donc, d’après Paltz, le jubilé accorde une triple absolution, celle de la faute (culpa), celle des peines canoniques (peines d’Eglise pena ), et  peines temporelles, au Nom de Dieu. Cette manière d’annoncer l’Indulgence, pour le maître de Luther, était une forme « d’évangélisation » puisque les pécheurs se convertissaient, à l’annonce de l’Indulgence.

Luther et les Augustins connaissaient  bien le problème, puisque leur protecteur, le Duc de Saxe (Frédéric III), avait sa propre collection de reliques valant Indulgences, qu’il exposait dans l’Eglise du château, spécialement bâtie pour elles ! (Stiftskirche) . Son catalogue mentionnait 17443 « reliques particules » conférant 127 799 années d’Indulgence et quelques jours ! La plus précieuse de ces reliques était une épine de la couronne du Christ, offerte à Rodolphe de Saxe par Philippe VI..  De plus depuis 1398, Wittenberg ( Château- Résidence de l’Electeur de Saxe depuis 1422), possédait le privilège d’accorder l’Indulgence plénière de la Portioncule ou Pardon d’Assises, à tous ceux qui verseraient une offrande le jour de la Toussaint, après s’être confessés. Ce Pardon avait été accordé, dans un premier temps en 1211,par Honorius III à la première maison franciscaine près d’Assises .

En Allemagne du Nord, puisque c’est ici que se cristallise le problème, c’est à l’Archevêque de Mayence, Albert de Brandebourg( un Hohenzollern, frère du Margrave de Brandebourg, Joachim Ier), qu’est confiée la charge de l’Indulgence Papale. En effet, beaucoup d’Etats Allemands avaient refusé que cette Indulgence soit « prêchée » sur leur territoire. La Curie Romaine, pour convaincre Albert, lui avait proposé 50% de la recette, s’il se chargeait de la « vente » sur ses terres. Albert de Brandebourg, 27 ans en 1517, cumulait l’évêché d’Halberstadt (il en était administrateur depuis Septembre 1513), l’archevêché de Magdebourg( dont il était titulaire depuis le 30 Août 1513) et l’Archevêché de Mayence ( depuis Mars 1514). Cet Archevêché conférait à son titulaire la charge de chancelier d’Empire, c’est à dire qu’il était, en quelque sorte, chef de l’Eglise Allemande, Primat de Germanie. Pour cela il recevait le Pallium, bande de laine blanche bordée de six croix noires, que l’on porte autour du cou. La laine qui composait ce vêtement venait des agneaux bénis en l’église Sainte -Agnès -hors -les -murs (à Rome). Ce pallium était porté par le Pape, et par les Archevêques éminents, en signe de participation à l’autorité pontificale. Le Pape Léon X avait accepté ce cumul irrégulier de trois charges épiscopales, moyennant une lourde taxe, 21OOO florins, que l’archevêque avait empruntés aux banquiers Fugger (20% d’intérêt ! ) . Le comptoir des Fugger était au début du XVI e siècle la banque des princes et des hauts dignitaire ecclésiastiques allemands. On voit ici un glissement subtil, puisque les agents de la maison Fugger (combinaison ou arrangement financier du 14 février 1516) devaient accompagner le moine dominicain Tetzel, sous -commissaire à l’Indulgence, et prélever directement sur la recette !

Tetzel (1465-1519) avait déjà été sous- commissaire pour la prédication d’une Indulgence au profit des chevaliers Teutoniques au début du siècle. Il n’en était donc pas à ses débuts. Il semble partisan d’une méthode pour le moins abrupte et simpliste : toutes les fois, déclare- t-il en substance, qu’une pièce tombe dans l’ escarcelle, une âme s’envole du purgatoire ! ( Sobald das Geld im Kasten klingt, Die Seel’aus dem Fegfeuer springt! ). C’est faire peu de cas    et de l’Indulgence elle-même et du repentir des fidèles. D’ailleurs cette manière de procéder avait été condamnée en son temps par la  décrétale Abusionibus en 1312,  et en Sorbonne  en 1482.On voit qu’il n’y a là rien de nouveau. En fait, Tetzel offrait, au nom d’Albert de Mayence, quatre grâces principales.

    1. La première se décomposait en : Plenaria remissio omnium pecatorum, c’est à dire la rémission plénière de tous les péchés, puis la rémission plénière des peines temporelles ainsi que celles devant être subies au purgatoire : Poenae in purgatorio  luendae plenissime remittuntur. Bien sûr pour obtenir ces « rémissions » il fallait être contrit,  et s’être confessé.
    1. Tetzel offrait aussi une deuxième grâce, le confessionale c’est à dire le droit de choisir un confesseur et d’en recevoir deux fois l’absolution, ainsi qu’une Indulgence plénière. Cette grâce permettait aussi d’être délié d’ un vœu, trop hâtivement prononcé.
    1. Il proposait ensuite la participation à tous les biens spirituels de l’Eglise et, enfin,
    1. l’indulgence plénière pour les âmes du Purgatoire.

 

Les thèses de Luther.

 

Rédigées en Latin (donc destinées avant tout aux théologiens, lettrés…) les thèses sont sous le signe du paradoxe. Violentes par la forme, mais modérées par le fond, elles ne se veulent pas des thèses de rupture, ni de réforme de l’Eglise. Elles ne contiennent pas d’attaques virulentes contre la Papauté. Elles soutiennent, par contre, que les Indulgences n’ont pas la vertu de justifier les pécheurs. Seul Dieu peut accorder le Salut et remettre les peines. C’est donc par la Pénitence et la Charité que l’on arrive au Salut. Martin Luther prêche donc un vrai repentir, une vraie conversion. Il semble qu’il n’y ait là rien d’extraordinaire, d’autres avant lui avaient tenu ce discours. Mais l’on sent chez le moine Augustin comme un sentiment tragique du péché. Son souci permanent est le salut des âmes.

“Par amour pour la vérité et dans le but de la préciser, les thèses suivantes seront soutenues à Wittemberg, sous la présidence du Révérend Père Martin Luther, ermite augustin, maître es Arts, docteur et lecteur de la Sainte Théologie. Celui-ci prie ceux qui, étant absents, ne pourraient discuter avec lui, de vouloir bien le faire par lettres.
Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ.
Amen.”

  1. En disant : Faites pénitence, notre Maître et Seigneur Jésus-Christ a voulu que la vie entière des fidèles fût une pénitence.
  2. Cette parole ne peut pas s’entendre du sacrement de la pénitence, tel qu’il est administré par le prêtre, c’est-à-dire de la confession et de la satisfaction.
  3. Toutefois elle ne signifie pas non plus la seule pénitence intérieure ; celle-ci est nulle, si elle ne produit pas au-dehors toutes sortes de mortifications de la chair.
  4. C’est pourquoi la peine dure aussi longtemps que dure la haine de soi-même, la vraie pénitence intérieure, c’est-à-dire jusqu’à l’entrée dans le royaume des cieux.
  5. Le pape ne veut et ne peut remettre d’autres peines que celles qu’il a imposées lui-même de sa propre autorité ou par l’autorité des canons.
  6. Le pape ne peut remettre aucune peine autrement qu’en déclarant et en confirmant que Dieu l’a remise ; à moins qu’il ne s’agisse des cas à lui réservés. Celui qui méprise son pouvoir dans ces cas particuliers reste dans son péché.
  7. Dieu ne remet la coulpe à personne sans l’humilier, l’abaisser devant un prêtre, son représentant.
  8. Les canons pénitentiels ne s’appliquent qu’aux vivants ; et d’après eux, rien ne doit être imposé aux morts.
  9. Voilà pourquoi le pape agit selon le Saint-Esprit en exceptant toujours dans ses décrets l’article de la mort et celui de la nécessité.
  10. Les prêtres qui, à l’article de la mort, réservent pour le Purgatoire les canons pénitentiels, agissent mal et d’une façon inintelligente.
  11. La transformation des peines canoniques en peines du Purgatoire est une ivraie semée certainement pendant que les évêques dormaient.
  12. Jadis les peines canoniques étaient imposées non après, mais avant l’absolution, comme une épreuve de la véritable contrition.
  13. La mort délie de tout ; les mourants sont déjà morts aux lois canoniques, et celles-ci ne les atteignent plus.
  14. Une piété incomplète, un amour imparfait donnent nécessairement une grande crainte au mourant. Plus l’amour est petit, plus grande est la terreur.
  15. Cette crainte, cette épouvante suffit déjà, sans parler des autres peines, à constituer la peine du Purgatoire, car elle approche le plus de l’horreur du désespoir.
  16. Il semble qu’entre l’Enfer, le Purgatoire et le Ciel il y ait la même différence qu’entre le désespoir, le quasi-désespoir et la sécurité.
  17. Il semble que chez les âmes du Purgatoire l’Amour doive grandir à mesure que l’horreur diminue.
  18. Il ne paraît pas qu’on puisse prouver par des raisons, ou par les Ecritures que les âmes du Purgatoire soient hors d’état de rien mériter ou de croître dans la charité.
  19. Il n’est pas prouvé non plus que toutes les âmes du Purgatoire soient parfaitement assurées de leur béatitude, bien que nous-mêmes nous en ayons une entière assurance.
  20. Donc, par la rémission plénière de toutes les peines, le Pape n’entend parler que de celles qu’il a imposées lui-même, et non pas toutes les peines en général.
  21. C’est pourquoi les prédicateurs des Indulgences se trompent quand ils disent que les indulgences du Pape délivrent l’homme de toutes les peines et le sauvent.
  22. Car le Pape ne saurait remettre aux âmes du Purgatoire d’autres peines que celles qu’elles auraient dû souffrir dans cette vie en vertu des canons.
  23. Si la remise entière de toutes les peines peut jamais être accordée, ce ne saurait être qu’en faveur des plus parfaits, c’est-à-dire du plus petit nombre.
  24. Ainsi cette magnifique et universelle promesse de la rémission de toutes les peines accordées à tous sans distinction, trompe nécessairement la majeure partie du peuple.
  25. Le même pouvoir que le Pape peut avoir, en général, sur le Purgatoire, chaque évêque le possède en particulier dans son diocèse, chaque pasteur dans sa paroisse.
  26. Le Pape fait très bien de ne pas donner aux âmes le pardon en vertu du pouvoir des clefs qu’il n’a pas , mais de le donner par le mode de suffrage.
  27. Ils prêchent des inventions humaines, ceux qui prétendent qu’aussitôt que l’argent résonne dans leur caisse, l’âme s’envole du Purgatoire.
  28. Ce qui est certain, c’est qu’aussitôt que l’argent résonne, l’avarice et la rapacité grandissent. Quant au suffrage de l’Eglise, il dépend uniquement de la bonne volonté de Dieu.
  29. Qui sait si toutes les âmes du Purgatoire désirent être délivrées, témoin de ce qu’on rapporte de Saint Séverin et de Saint Paul Pascal.
  30. Nul n’est certain de la vérité de sa contrition ; encore moins peut-on l’être de l’entière rémission.
  31. Il est aussi rare de trouver un homme qui achète une vraie indulgence qu’un homme vraiment pénitent.
  32. Ils seront éternellement damnés avec ceux qui les enseignent, ceux qui pensent que des lettres d’indulgences leur assurent le salut.
  33. On ne saurait trop se garder de ces hommes qui disent que les indulgences du Pape sont le don inestimable de Dieu par lequel l’homme est réconcilié avec lui.
  34. Car ces grâces des indulgences ne s’appliquent qu’aux peines de la satisfaction sacramentelle établies par les hommes.
  35. Ils prêchent une doctrine antichrétienne ceux qui enseignent que pour le rachat des âmes du Purgatoire ou pour obtenir un billet de confession, la contrition n’est pas nécessaire.
  36. Tout chrétien vraiment contrit a droit à la rémission entière de la peine et du péché, même sans lettre d’indulgences.
  37. Tout vrai chrétien, vivant ou mort, participe à tous les biens de Christ et de l’Eglise, par la grâce de Dieu, et sans lettres d’indulgences.
  38. Néanmoins il ne faut pas mépriser la grâce que le Pape dispense ; car elle est, comme je l’ai dit, une déclaration du pardon de Dieu.
  39. C’est une chose extraordinairement difficile, même pour les plus habiles théologiens, d’exalter en même temps devant le peuple la puissance des indulgences et la nécessité de la contrition.
  40. La vraie contrition recherche et aime les peines ; l’indulgence, par sa largeur, en débarrasse, et à l’occasion, les fait haïr.
  41. Il faut prêcher avec prudence les indulgences du Pape, afin que le peuple ne vienne pas à s’imaginer qu’elles sont préférables aux bonnes oeuvres de la charité.
  42. Il faut enseigner aux chrétiens que dans l’intention du Pape, l’achat des indulgences ne saurait être comparé en aucune manière aux oeuvres de miséricorde.
  43. Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui donne aux pauvres ou prête aux nécessiteux fait mieux que s’il achetait des indulgences.
  44. Car par l’exercice même de la charité, la charité grandit et l’homme devient meilleur. Les indulgences au contraire n’améliorent pas ; elles ne font qu’affranchir de la peine.
  45. Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui voyant son prochain dans l’indigence, le délaisse pour acheter des indulgences, ne s’achète pas l’indulgence du Pape mais l’indignation de Dieu.
  46. Il faut enseigner aux chrétiens qu’à moins d’avoir des richesses superflues, leur devoir est d’appliquer ce qu’ils ont aux besoins de leur maison plutôt que de le prodiguer à l’achat des indulgences.
  47. Il faut enseigner aux chrétiens que l’achat des indulgences est une chose libre, non commandée.
  48. Il faut enseigner aux chrétiens que le Pape ayant plus besoin de prières que d’argent demande, en distribuant ses indulgences plutôt de ferventes prières que de l’argent.
  49. Il faut enseigner aux chrétiens que les indulgences du Pape sont bonnes s’ils ne s’y confient pas, mais des plus funestes, si par elles, ils perdent la crainte de Dieu.
  50. Il faut enseigner aux chrétiens que si le Pape connaissait les exactions des prédicateurs d’indulgences, il préfèrerait voir la basilique de Saint-Pierre réduite en cendres plutôt qu’édifiée avec la chair, le sang, les os de ses brebis.
  51. Il faut enseigner aux chrétiens que le Pape, fidèle à son devoir, distribuerait tout son bien et vendrait au besoin l’Eglise de Saint-Pierre pour la plupart de ceux auxquels certains prédicateurs d’indulgences enlèvent leur argent.
  52. Il est chimérique de se confier aux indulgences pour le salut, quand même le commissaire du Pape ou le Pape lui-même y mettraient leur âme en gage.
  53. Ce sont des ennemis de Christ et du Pape, ceux qui à cause de la prédication des indulgences interdisent dans les autres églises la prédication de la parole de Dieu.
  54. C’est faire injure à la Parole de Dieu que d’employer dans un sermon autant et même plus de temps à prêcher les indulgences qu’à annoncer cette Parole.
  55. Voici quelle doit être nécessairement la pensée du Pape ; si l’on accorde aux indulgences qui sont moindres, une cloche, un honneur, une cérémonie, il faut célébrer l’Evangile qui est plus grand, avec cent cloches, cent honneurs, cent cérémonies.
  56. Les trésors de l’Eglise, d’où le Pape tire ses indulgences, ne sont ni suffisamment définis, ni assez connus du peuple chrétien.
  57. Ces trésors ne sont certes pas des biens temporels ; car loin de distribuer des biens temporels, les prédicateurs des indulgences en amassent plutôt.
  58. Ce ne sont pas non plus les mérites de Christ et des saints ; car ceux-ci, sans le Pape, mettent la grâce dans l’homme intérieur, et la croix, la mort et l’enfer dans l’homme intérieur.
  59. Saint Laurent a dit que les trésors de l’Eglise sont ses pauvres. En cela il a parlé le langage de son époque.
  60. Nous disons sans témérité que ces trésors, ce sont les clefs données à l’Eglise par les mérites du Christ.
  61. Il est clair en effet que pour la remise des peines et des cas réservés, le pouvoir du Pape est insuffisant.
  62. Le véritable trésor de l’Eglise, c’est le très-saint Evangile de la gloire et de la grâce de Dieu.
  63. Mais ce trésor est avec raison un objet de haine car par lui les premiers deviennent les derniers.
  64. Le trésor des indulgences est avec raison recherché ; car par lui les derniers deviennent les premiers.
  65. Les trésors de l’Evangile sont des filets au moyen desquels on pêchait jadis des hommes adonnés aux richesses.
  66. Les trésors des indulgences sont des filets avec lesquels on pêche maintenant les richesses des hommes.
  67. Les indulgences dont les prédicateurs vantent et exaltent les mérites ont le très grand mérite de rapporter de l’argent.
  68. Les grâces qu’elles donnent sont misérables si on les compare à la grâce de Dieu et à la piété de la croix.
  69. Le devoir des évêques et des pasteurs est d’admettre avec respect les commissaires des indulgences apostoliques.
  70. Mais c’est bien plus encore leur devoir d’ouvrir leurs yeux et leurs oreilles, pour que ceux-ci ne prêchent pas leurs rêves à la place des ordres du Pape.
  71. Maudit soit celui qui parle contre la vérité des indulgences apostoliques.
  72. Mais béni soit celui qui s’inquiète de la licence et des paroles impudentes des prédicateurs d’indulgences.
  73. De même que le Pape excommunie justement ceux qui machinent contre ses indulgences,
  74. Il entend à plus forte raison excommunier ceux qui, sous prétexte de défendre les indulgences, machinent contre la sainte charité et contre la vérité.
  75. C’est du délire que d’exalter les indulgences du Pape jusqu’à prétendre qu’elles délieraient un homme qui, par impossible, aurait violé la mère de Dieu.
  76. Nous prétendons au contraire que, pour ce qui est de la coulpe, les indulgences ne peuvent pas même remettre le moindre des péchés véniels.
  77. Dire que Saint Pierre, s’il était Pape de nos jours, ne saurait donner des grâces plus grandes, c’est blasphémer contre Saint Pierre et contre le Pape.
  78. Nous disons au contraire que lui ou n’importe quel pape possède des grâces plus hautes, savoir : l’Evangile, les vertus, le don des guérisons, etc…(d’après 1 Cor. 12).
  79. Dire que la croix ornée des armes du Pape égale la croix du Christ, c’est un blasphème.
  80. Les évêques, les pasteurs, les théologiens qui laissent prononcer de telles paroles devant le peuple en rendront compte.
  81. Cette prédication imprudente des indulgences rend bien difficile aux hommes même les plus doctes, de défendre l’honneur du Pape contre les calomnies ou même contre les questions insidieuses des laïques.
  82. Pourquoi, disent-ils, pourquoi le Pape ne délivrent-ils pas d’un seul coup toutes les âmes du Purgatoire, pour les plus justes des motifs, par sainte charité, par compassion pour leurs souffrances, tandis qu’il en délivre à l’infini pour le motif le plus futile, pour un argent indigne, pour la construction de sa basilique ?
  83. Pourquoi laisse-t-il subsister les services et les anniversaires des morts ? Pourquoi ne rend-il pas ou ne permet-il pas qu’on reprenne les fondations établies en leur faveur, puisqu’il n’est pas juste de prier pour les rachetés.
  84. Et encore : quelle est cette nouvelle sainteté de Dieu et du Pape que, pour de l’argent, ils donnent à un impie, à un ennemi le pouvoir de délivrer une âme pieuse et aimée de Dieu, tandis qu’ils refusent de délivrer cette âme pieuse et aimée, par compassion pour ses souffrances, par amour et gratuitement ?
  85. Et encore : pourquoi les canons pénitentiels abrogés de droit et éteints par la mort se rachètent-ils encore pour de l’argent, par la vente d’une indulgence, comme s’ils étaient encore en vigueur ?
  86. Et encore : pourquoi le Pape n’édifie-t-il pas la basilique de Saint-Pierre de ses propres deniers, plutôt qu’avec l’argent des pauvres fidèles, puisque ses richesses sont aujourd’hui plus grandes que celles de l’homme le plus opulent ?
  87. Encore : pourquoi le Pape remet-il les péchés ou rend-il participants de sa grâce ceux qui par une contrition parfaite ont déjà obtenu une rémission plénière et la complète participation à ces grâces ?
  88. Encore : ne serait-il pas d’un plus grand avantage pour l’Eglise, si le Pape, au lieu de distribuer une seule fois ses indulgences et ses grâces, les distribuait cent fois par jour et à tout fidèle ?
  89. C’est pourquoi si par les indulgences le Pape cherche plus le salut des âmes que de l’argent, pourquoi suspend-il les lettres d’indulgences qu’il a données autrefois, puisque celles-ci ont même efficacité ?
  90. Vouloir soumettre par la violence ces arguments captieux des laïques, au lieu de les réfuter par de bonnes raisons, c’est exposer l’Eglise et le Pape à la risée des ennemis et c’est rendre les chrétiens malheureux.
  91. Si, par contre, on avait prêché les indulgences selon l’esprit et le sentiment du Pape, il serait facile de répondre à toutes ces objections ; elles n’auraient pas même été faites.
  92. Qu’ils disparaissent donc tous, ces prophètes qui disent au peuple de Christ : « Paix, paix » et il n’y a pas de paix !
  93. Bienvenus au contraire les prophètes qui disent au peuple de Christ : « Croix, croix » et il n’y a pas de croix !
  94. Il faut exhorter les chrétiens à s’appliquer à suivre Christ leur chef à travers les peines, la mort et l’enfer.
  95. Et à entrer au ciel par beaucoup de tribulations plutôt que de se reposer sur la sécurité d’une fausse paix.

 

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Document de Chieti: Synodalité et primauté au premier millénaire. Vers une compréhension au service de l’unité de l’Église

11 octobre 2016:  Document de Chieti

Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre catholiques et orthodoxes: “

Synodalité et primauté au premier millénaire. Vers une compréhension au service de l’unité de l’Église

 

« Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous. Or nous sommes, nous aussi, en communion avec le Père et avec son Fils, Jésus Christ. Et nous écrivons cela, afin que notre joie soit parfaite. » (1 Jean, 1, 3-4).

 

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La communion ecclésiale naît directement de l’incarnation du Verbe éternel de Dieu, selon la bienveillance (eudokía) du Père, par le Saint Esprit. Le Christ, venu sur terre, a fondé l’Eglise comme son corps (cf. 1 Corinthiens, 12, 12-27). L’unité qui lie les personnes de la Trinité entre elles se reflète dans la communion (koinonía) des membres de l’Eglise entre eux. Ainsi, comme l’affirme saint Maxime le Confesseur, l’Eglise est une éikon de la très Sainte Trinité. Pendant la Cène, Jésus Christ a prié le Père: « Père saint, garde-les unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes » (Jean, 17, 11). Cette unité trinitaire se manifeste dans la sainte eucharistie, là où l’Eglise prie Dieu le Père par Jésus Christ dans l’Esprit Saint.

Dès ses débuts, il existait une Eglise « une » comme tant d’Eglises locales. La communion (koinonía) de l’Esprit Saint (cf. 2 Corinthiens, 13, 13) était vécue au sein de chaque église locale mais également dans leurs relations entre elles comme unité dans la diversité. Guidée par l’Esprit (cf. Jean 16, 13) l’Eglise développa des modèles qui différaient dans leur organisation et au plan pratique, conformément à sa nature de «  peuple qui fonde son unité dans l’unité du Père, du Fils et du Saint esprit ».

La synodalité est une qualité fondamentale de l’Eglise dans son ensemble. Comme a dit saint Jean Chrysostome: L’ « Eglise » qui désigne une assemblée [sýstema] est synonyme de synode [sýnodos]». L’expression vient du mot «  concile » (sýnodos en grec, concilium en latin), lequel désigne avant tout une assemblée d’évêques, guidée par l’Esprit Saint, pour la délibération et l’action communes dans le soin de l’Eglise. Au sens large, celle-ci renvoie à la participation active de tous les fidèles à la vie et à la mission de l’Eglise.

Le mot «  primauté » renvoie à une situation de «  premier rang » (primus, prótos). Dans l’Eglise, la primauté revient à son Chef, Jésus Christ, « le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin qu’il ait en tout la primauté [protéuon] » (Colossiens, 1, 18). La tradition chrétienne montre clairement que, dans le cadre de la vie synodale de l’Eglise à divers niveaux, un évêque est reconnu comme étant le «  premier ». Jésus Christ associe cette « première » place à un service (diakonía): «Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous » (Marc, 9, 35).

Au second millénaire, cette communion s’est brisée entre l’Orient et l’Occident. Beaucoup d’efforts ont été déployées pour la rétablir entre catholiques et orthodoxes, mais sans succès. La Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe, dans un travail constant visant surmonter les divergences théologiques, a examiné ce rapport entre synodalité et primauté dans la vie de l’Eglise. Les différentes compréhensions de cette réalité ont joué un rôle important dans la division entre orthodoxes et catholiques. Il est donc essentiel que nous arrivions à une compréhension commune des faits, qui sont liés entre eux, complémentaires et inséparables.

Pour arriver à cette compréhension commune de la primauté et de la synodalité, il nous faut relire l’Histoire. Dieu se révèle dans l’histoire. Il est particulièrement important de faire ensemble une lecture théologique de l’histoire liturgique de l’Eglise, de la spiritualité, des institutions et des canons, qui ont toujours une dimension théologique.

L’histoire de l’Eglise au premier millénaire est fondamentale. A part quelque fracture momentanée, à l’époque les chrétiens d’Orient et d’Occident vivaient en communion et, c’est dans ce contexte que les structures essentielles de l’Eglise furent créées. Les liens entre primauté et synodalité prirent différentes formes, offrant aux orthodoxes et aux catholiques des pistes fondamentales qui permettent de progresser aujourd’hui vers un rétablissement de la pleine communion.

 

L’Eglise locale

L’Eglise une, sainte, catholique et apostolique dont Jésus Christ est le chef, est présente aujourd’hui dans la synaxe eucharistique d’une Eglise locale sous son évêque. C’est lui qui préside (proestós). Dans la synaxe liturgique, l’évêque rend visible la présence de Jésus Christ. Dans l’Eglise locale (c’est-à-dire dans le diocèse), tous les fidèles et le clergé, sous l’unique évêque, sont unis entre eux en Jésus Christ et sont en communion avec lui dans tous les aspects de la vie de l’Eglise, spécialement dans la célébration de l’Eucharistie. Comme enseignait saint Ignace d’Antioche, « partout où paraît l’évêque, que là aussi soit la communauté, de même que partout où est le Christ-Jésus, là est l’Église catholique [katholiké ekklesía]». Chaque Eglise locale célèbre en communion avec toutes les autres locales qui professent la vraie foi et célèbrent la même eucharistie. Quand un prêtre préside l’Eucharistie, l’évêque local est toujours cité en signe d’unité. Dans l’Eucharistie, le proestós et la communauté sont interdépendants: la communauté ne peut célébrer l’Eucharistie sans un proestós, et le proestós, à son tour, doit célébrer avec une communauté.

Ces relations réciproques entre le proestós ou l’évêque et la communauté font partie intégrante de la vie de l’Eglise locale. Avec le clergé, qui collabore à son ministère, l’évêque local agit au milieu des fidèles, qui forment le troupeau du Christ, comme garant et serviteur de l’unité. En tant que successeur des apôtres, il exerce sa mission comme un service et un engagement d’amour, en veillant sur sa communauté et la guidant, tel un chef, vers une unité de plus en plus profonde avec le Christ dans la vérité, cherchant à conserver la foi des apôtres à travers la prédication de l’Evangile et la célébration des sacrements.

Et puisque l’évêque est le chef de son Eglise locale, il représente son Eglise face aux autres Eglises locales et dans la communion de toutes les Eglises. De la même façon il rend visible cette communion dans son Eglise. Ceci est un principe fondamental de la synodalité.

 

La communion régionale des Eglises

 Il existe une abondance de preuves que les évêques, aux débuts de l’Eglise, étaient conscients d’avoir une responsabilité commune envers l’Eglise dans son ensemble. Comme a dit saint Cyprien, « l’épiscopat est un tout, qui s’étend au loin dans une multitude harmonieuse de tant d’évêques». Ces liens d’unité figuraient dans les dispositions qu’au moins trois évêques participent à l’ordination (cheirotonía) d’un nouvel évêque; ils apparaissaient clairement aussi lors des multiples rencontres d’évêques en conciles ou synodes quand il y a discussion sur des questions communes de doctrine (dógma, didaskalía) ou de mise en pratique, et dans leurs fréquents échanges de lettres ou visites.

Déjà, au cours des quatre premiers siècles se formèrent divers regroupements de diocèses en régions particulières. Le prótos, premier des évêques de la région, était l’évêque du premier siège, la métropole, et sa charge métropolitaine toujours liée à son siège. Les conciles œcuméniques attribuèrent certaines prérogatives (presbéia, pronomía, díkaia) au métropolite, toujours dans le cadre de la synodalité. Ainsi, le premier concile oecuménique (Nicée, 325), tout en demandant à tous les évêques d’une province leur participation ou consentement par écrit à une élection et consécration épiscopale — acte synodal par excellence — attribuait au métropolite la validation (kýros) de l’élection d’un nouvel évêque. Le quatrième concile œcuménique (Chalcédoine, 451) réitéra de nouveau les droits (díkaia) du métropolite — insistant sur le fait que cette charge devait être ecclésiale et non politique — comme le septième concile œcuménique (Nicée ii, 787).

Le Canon apostolique 34 propose une description canonique de la corrélation entre le prótos et les autres évêques de chaque région [éthnos]: «Les évêques de chaque nation doivent reconnaître leur primat [prótos], et le considérer comme chef [kephalé] ; ne rien faire qui dépasse son pouvoir sans son avis [gnóme]; et que chacun ne s’occupe que de ce qui regarde son diocèse [paroikía] et les campagnes dépendant de son diocèse. Mais, lui aussi, le primat [prótos], qu’il ne fasse rien sans l’avis de tous ; car la concorde règnera ainsi sera glorifié le Père et le Fils et le Saint- Esprit ».

L’institution de la métropole est une forme de communion régionale entre les Eglises locales. D’autres formes se développeront par la suite, soit les patriarcats comprenant plusieurs métropoles. Tant le métropolite que le patriarche étaient des évêques diocésains dotés de pleins pouvoirs dans leurs diocèses. Mais pour des questions liées à leurs métropoles respectives, ils devaient agir en accord avec les autres évêques. Cette façon d’agir est à la racine des institutions synodales au sens strict du terme, comme le synode régional des évêques. Ces synodes étaient convoqués et présidés par le métropolite ou par le patriarche. Lui et les autres évêques agissaient en se complétant mutuellement et ils étaient tous responsables devant le synode.

 

L’Eglise au sens universel

Entre le quatrième et le cinquième siècle, l’ordre (táxis) des cinq sièges patriarcaux commence à être reconnu. Tel ordre était fondé sur les conciles œcuméniques et dictés par eux, donnant au siège de Rome la première place, soit un rôle de primauté d’honneur (presbéia tes timés), devant Constantinople, puis Alexandrie, Antioche et Jérusalem, selon l’ordre établi par la tradition canonique.

En Occident, la primauté du siège de Rome fut comprise, surtout à partir du IVème siècle, en rapport avec le rôle de Pierre parmi les apôtres. La primauté de l’évêque de Rome par les évêques fut peu à peu interprétée comme une prérogative qui lui revenait dans la mesure où il était le successeur de Pierre, premier de tous les apôtres. Cette compréhension ne fut pas adoptée en Orient, qui avait sur ce point une autre interprétation que celle des Ecritures et des Pères. Notre dialogue pourra un jour revenir sur cette question.

Quand un nouveau patriarche était élu dans un des cinq sièges de la táxis, la coutume voulait qu’une lettre fût envoyée à tous les autres patriarches pour annoncer son élection, en y incluant une profession de foi. Ces « lettres de communion » étaient l’expression des liens canoniques profonds qui unissaient les patriarches. En incluant le nom du nouveau patriarche et le mettant à sa juste place dans les dytiques de leurs églises, lus durant la liturgie, les autres patriarches reconnaissaient son élection. La táxis des patriarcats trouvait sa plus haute expression dans la célébration de la sainte eucharistie. A chaque fois que deux ou plusieurs patriarches se réunissaient pour célébrer l’eucharistie, ils se plaçaient selon la táxis. Cette pratique reflétait la nature eucharistique de leur communion.

Dès le premier concile œcuménique (Nicée, 325), les questions de foi et de l’ordre canonique dans l’Eglise furent discutés et tranchés par les conciles œcuméniques. Même si l’évêque de Rome ne participait personnellement à aucun de ces conciles, il envoyait à chaque fois un représentant ou approuvait les conclusions conciliaires post factum. Sur les critères devant déterminer un concile œcuménique, la compréhension de l’Eglise se développa dans le courant du premier millénaire. Par exemple, poussé par des circonstances historiques, le septième concile oecuménique (Nicée II, 787) fit une description détaillée des critères tels qu’ils étaient compris à l’époque: la concorde (symphonía) des chefs des Eglises, la coopération (synérgheia) de l’évêque de Rome et l’accord des autres patriarches (symphronúntes). Un concile œcuménique doit avoir son propre numéro dans la séquence des conciles œcuméniques et sont enseignement doit être en accord avec celui des conciles précédents. La prise en compte de l’Eglise dans son ensemble a toujours été le dernier critère du caractère oecuménique d’un concile.

Au fil des siècles, tant d’appels ont été lancés à l’évêque de Rome, de l’Orient aussi, sur des questions disciplinaires, comme la déposition d’un évêque. Au synode de Sardique (343) il y eut une tentative d’établir des règles de procédure. Sardique fut pris en considération au concile in Trullo (692)15. Les canons de Sardique établissaient qu’un évêque qui avait été condamné pouvait faire appel à l’évêque de Rome et que ce dernier, s’il le jugeait bon, pouvait ordonner un nouveau processus, que les évêques devait assurer dans la province limitrophe à celle de l’évêque en question. Des rappels disciplinaires furent également envoyés au siège de Constantinople et à d’autres sièges. Ces rappels furent toujours traités de manière synodique. Les appels à l’évêque de Rome par l’Orient exprimaient la communion de l’Eglise, mais l’évêque de Rome n’exerçait pas d’autorité canonique sur les Eglises d’Orient.

 

Conclusion

Pendant tout le premier millénaire, l’Eglise en Orient et en Occident s’unirent pour entretenir la foi des apôtres, assurer la succession apostolique des évêques, développer des structures de synodalité liées indissociablement à la primauté, et entendaient l’autorité comme un service (diakonía) d’amour. Bien que l’unité entre l’Orient et l’Occident fut parfois compliquée, les évêques d’un côté comme de l’autre avaient conscience d’appartenir à Eglise « une ».

Cet héritage commun de principes théologiques, de dispositions canoniques et pratiques liturgiques du premier millénaire, représente un point de référence nécessaire et une puissante source d’inspiration pour les catholiques comme pour les orthodoxes, tandis qu’ils cherchent à panser les plaies de leur division, en ce début de troisième millénaire. Sur la base de cet héritage commun, tous les deux doivent voir comment la primauté, la synodalité et l’interrelation qui existent entre eux peuvent être pris en compte et exercés aujourd’hui et à l’avenir.

 

© Traduction de ZENIT, Océane Le Gall

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Des prêtres et moines de l’Église orthodoxe bulgare, soutenus par des laïcs, ont fait part au patriarche de Bulgarie Néophyte de leurs inquiétudes au sujet du document préconciliaire concernant les « Relations des Églises orthodoxes avec l’ensemble du monde chrétien »

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Critiques Bulgares sur “Relations des Églises orthodoxes avec l’ensemble du monde chrétien”

 

« À Sa Sainteté Néophyte, métropolite de Sofia et patriarche de Bulgarie, aux membres du Saint-Synode de l’Église orthodoxe bulgare, lettre ouverte des chrétiens orthodoxes au sujet du Concile panorthodoxe prévu pour juin 2016.

 

Votre Sainteté, Vos Éminences,

En tant que fidèles enfants de la sainte Église orthodoxe, nous attirons humblement votre attention archipastorale sur la question doctrinale importante suivante. Nous référant aux paroles de saint Théodore le Studite, selon lesquelles, « lorsque la pureté de la foi est menacée par un danger, le commandement divin ordonne que personne ne se taise, indépendamment de sa modeste position sociale ou ecclésiastique », nous souhaitons exprimer notre forte inquiétude et notre désaccord avec le contenu d’un projet de document, adopté officiellement aux fins d’examen par le Concile panorthodoxe de juin 2016, intitulé « Relations des Églises orthodoxes avec l’ensemble du monde chrétien », qui trouble très fortement notre conscience orthodoxe. Voici, ci-après, ce que nous avons en vue.

Tout ce document produit l’impression d’une utilisation infondée de la terminologie œcuménique, qui entre en contradiction ouverte avec la théologie orthodoxe traditionnelle et la langue des saints Pères. Parfois sont utilisées des expressions à double sens qui visent non pas à préciser les concepts, à l’instar des Conciles œcuméniques, mais à les obscurcir et les éroder consciemment. Il y a même certaines formulations manifestement non orthodoxes.

…/…

Jamais, lors des conciles œcuméniques, on a parlé du rétablissement de l’unité entre orthodoxes, ariens, macédoniens, nestoriens, monophysites, origénistes, monothélites, iconoclastes, etc. C’est parce que la présence d’hérétiques, indépendamment de leur nombre, ne porte pas atteinte à l’unité interne de l’Église du Christ, étant donné que les hérétiques ont toujours été considérés comme extérieurs par rapport à l’Église.
Au contraire, les membres fidèles de l’Église se trouvent toujours dans l’unité chrétienne parce qu’ils sont unis par leur foi orthodoxe commune, les sacrements et le Christ Lui-même, le chef de l’Église. C’est pourquoi les saints Pères n’ont jamais parlé de rétablissement de l’unité entre orthodoxes et hérétiques, mais ont seulement appelé les hérétiques au repentir et à leur retour, après avoir confessé la foi orthodoxe, dans l’Église.

Or, dans ce projet de document, on ne parle nulle part du repentir des hérétiques contemporains (catholiques-romains, protestants, communautés monophysites, etc.) et de leur retour dans l’Église du Christ. Et, comme on le sait de l’histoire de l’Église, celle-ci ne s’est jamais unie aux hérétiques qui ne se repentent pas de leurs erreurs.

Comme il ressort du projet de document discuté, par exemple, des paragraphes 10 et 14, le patriarche de Constantinople est appelé à coordonner les efforts œcuméniques des Églises orthodoxes locales qui, de leur côté, sont liées à l’organisme dit « Conseil œcuménique des Églises », considéré sous un éclairage positif.

De notre côté, nous voudrions rappeler la position catégorique du saint hiérarque Séraphim (Sobolev), thaumaturge de Sofia, récemment canonisé, à l’égard de l’œcuménisme. Il y a presque 70 ans, dans son rapport à la Conférence panorthodoxe de Moscou de 1948, le hiérarque a mis en garde contre la nuisance spirituelle énorme causée par les dialogues œcuméniques sur la conscience qu’ont d’eux-mêmes les participants orthodoxes, et il les a exhorté à ne pas participer à ce mouvement. Maintenant, après le passage du temps, nous pouvons dire avec certitude que ses paroles ont été confirmées.

…/…

Le contenu des points 20 et 23 est également inacceptable. Il est dit dans le point 20 : « Les perspectives des dialogues théologiques de l’Église orthodoxe avec les autres Églises et confessions chrétiennes sont toujours déterminées sur la base des critères canoniques de la tradition ecclésiastique déjà constituée (canon 7 du IIème et 95 du Quinisexte Conciles œcuméniques). Ce texte a un contenu inexact et peut facilement égarer ceux qui ne connaissent pas les canons mentionnés, qui décrivent seulement la façon selon laquelle les différents hérétiques repentants sont acceptés dans l’Église. Ils ne parlent aucunement d’une quelque tradition ecclésiale ancienne de dialogues interchrétiens – celle-ci n’existe pas et n’a jamais existé. En outre, dans le texte susmentionné, on parle, dans un esprit manifestement œcuménique du dialogue théologique avec « les autres Églises et Confessions chrétiennes », afin d’éviter le concept « d’hérétiques » formulé par les saints Pères.

Le point 23 exclut catégoriquement « tout acte de prosélytisme ou autre action d’antagonisme confessionnel provocante ». Dans quel sens le mot « prosélytisme » est-il utilisé ici ?
Nous considérons que ce texte pose un obstacle canonique évident aux chrétiens orthodoxes pour la prédication de la foi orthodoxe, à quels hérétiques que ce soit. Rappelons les paroles de saint Cyprien de Carthage que « les hérétiques ne reviendront jamais à l’Église si nous les renforçons nous-mêmes dans la conviction qu’ils ont l’Église et les sacrements ». En général, comment est-il possible de faire concorder l’interdiction du « prosélytisme » avec la Tradition apostolique et patristique millénaire qui considère catégoriquement que les hérétiques sont en dehors du navire de l’Église et, par voie de conséquence, hors du salut, raison pour laquelle ils ont encore plus besoin de notre service missionnaire parmi eux ? Ce serait bien si, dans le point 23, était uniquement posée la question du « prosélytisme non-évangélique », ce qui permettrait de condamner l’agression, la violence et les méthodes non-ecclésiales de prédication. Mais le point 23, semble-t-il, est dirigé contre autre chose. Nous avons des fondements suffisants pour supposer que l’extensibilité de la formulation citée rend possible également une interprétation non orthodoxe du concept de « prosélytisme », ce que l’on peut conclure des paroles du patriarche Bartholomée, prononcées lors de la fête patronale de Saint André, le 30 novembre 1998, en présence des représentants de « l’Église » catholique-romaine avec, à leur tête, le cardinal William H. Keeler, où le thème principal, cela est clair, était la réunion de l’Église orthodoxe à la communauté hérétique papale : « Le dialogue qui aspire à rétablir l’unité perdue des Églises suppose que la pratique se conforme aux principes communément acceptés comme corrects : étant donné qu’une Église reconnaît que l’autre Église est détentrice de la grâce divine et guide du salut, la tentative de détacher des fidèles d’une Église afin qu’ils en joignent une autre est exclu, comme contrevenant à cette reconnaissance. Car chaque Église locale n’est pas une compétitrice des autres Églises locales, mais constitue un seul corps avec elles et souhaite qu’elle vive de cette unité en Christ, c’est-à-dire le rétablissement de ce qui avait été troublé dans le passé, et non l’absorption de l’autre. Aussi, certaines formes de prosélytisme dans l’activité ecclésiale, adoptées en tant qu’héritage du temps, remontant au passé, mais sujettes au changement, ne peuvent se développer sous la protection de l’une des Églises en dialogue aux dépens de l’autre, parce que cela signifie un rejet en pratique d’un accord théorique que l’on a atteint… ».
En bref, il ressort du texte mentionné, que les Églises orthodoxes locales et la communauté hérétique papale doivent se considérer comme des Églises sœurs pareillement salvatrices, et, par voie de conséquence, il ne faut pas prêcher l’orthodoxie aux catholiques-romains. On peut percevoir ici la conception du prosélytisme chez le patriarche œcuménique Bartholomée, et la nuisance qui en découle. C’est pourquoi, en revenant sur le texte du point 23, nous considérons que la conception de « prosélytisme », d’après la manière dont il est formulé, laisse une large possibilité d’interprétations, qui sont ouvertement non-orthodoxes et contredisent la volonté Divine qui veut que « tous soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tim. 2,4).
–––––

Votre Sainteté,

Vos Éminences,

La conclusion succincte de tout ce qui précède est que, dans tout ce projet de document, il y a beaucoup de choses qui troublent fortement la conscience orthodoxe et qui sont absolument inacceptables pour elle. Il en est de même pour la possibilité offerte dans le point 5a de la deuxième partie du document intitulé « Le mystère du mariage et ses empêchements », d’autoriser le sacrement du mariage d’un orthodoxe avec un hérétique (sous condition que les enfants dudit mariage soient baptisés et éduqués dans l’Église orthodoxe) : si les saints canons leur interdisent même de prier ensemble, comment peut-on appeler le Saint-Esprit à sanctifier leur union (de laquelle il se peut qu’il n’y ait pas d’enfants) ? Cela est manifestement interdit par le 72ème canon du VIème concile œcuménique et si, dans des cas individuels exceptionnels, il a été montré de l’économie envers ce canon (par exemple lors de mariages dynastiques), cela ne signifie pas que l’on puisse légaliser cette exception et la permettre massivement. Comme le souligne le professeur D. Tselengidis, l’idée même que « les enfants issus de ce mariage soient baptisés et élevés dans l’Église orthodoxe » contredit le fondement théologique du mariage comme mystère de l’Église orthodoxe, car la naissance de l’enfant (événement futur incertain) et le baptême orthodoxe des enfants ne peuvent fonder l’accomplissement du mystère du mariage – c’est là quelque chose de nettement interdit par le 72ème canon susmentionné. Le Concile, n’ayant pas le rang d’œcuménique, continue le professeur D. Tselengidis, ne peut mettre en doute ou priver de sa validité la règle absolument claire du VIème concile oecuménique : le mariage mixte n’est pas permis et, s’il est accompli, il est considéré inexistant.

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Comprendre l’ordre du jour du concile Panorthodoxe :

http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Comprendre-l-ordre-du-jour-du-Concile_a4602.html

Comprendre l’ordre du jour du concile Panorthodoxe :

Du 21 au 28 janvier s’est réunie la synaxe des primats de l’Église orthodoxe à Chambésy (Suisse)

     C’est en Crète, et non à Istanbul (Constantinople) que se devrait se réunir, en juin 2016, le très attendu Concile réunissant toutes les Eglises orthodoxes.
     La décision de réunir le Concile Panorthodoxe en Crète et non à Constantinople a été prise en raison “de circonstances objectives extraordinaires”, révèle le site d’information orthodoxe. Une crise entre la Turquie et la Fédération de Russie est invoquée, empêchant le patriarche de Moscou Cyrille et sa délégation de se rendre à Constantinople.
     C’est aussi la raison pour laquelle, depuis le 22 janvier 2016, la réunion des primats des Églises orthodoxes se déroule à Genève. Elle était initialement prévue au Phanar, quartier historique d’Istanbul, où se trouve le siège du Patriarcat œcuménique de Constantinople.

Dans l’article de Vladimir Golovanow paru sur le site « egliserusse.eu » nous pouvons trouver un grand nombre de renseignements sur le prochain Grand Concile Panorthodoxe de la pentecôte qui vient.

Les thèmes approuvés sont : (Pour consulter les textes, suivre les liens)
–           La mission de l’Église orthodoxe dans le monde contemporain (approuvé à l’unanimité),
–           La diaspora orthodoxe, l’autonomie et la façon de la proclamer (deux documents auparavant),
–           Le sacrement du mariage et ses empêchements (réserve des ’Églises de Géorgie et d’Antioche),
–           Les relations de l’Église orthodoxe avec le reste du monde chrétien (deux documents auparavant).
–           et le règlement du concile : règlement intérieur de l’assemblée des évêques de la diaspora orthodoxe

Les thèmes qui n’ont pas trouvé de consensus :

Trois documents n’ont pas été repris faute de consensus
–         Sur la question du calendrier
–         Sur l’autocéphalie et les modes de sa proclamation pour ce qui est du mode interne au territoire des Eglises
–        Sur les dyptiques

On trouve aussi et surtout un historique et un commentaire sur la manière et la pertinence des  décisions qui ont été prises -du point de vue du Patriarcat de Moscou.

Comprendre l’ordre du jour du concile Panorthodoxe : Lire la suite »

Marie : une belle impatience qui saisit le bonheur par les ailes

LES MOTS DE FRANCE QUÉRÉ, 20 ANS APRÈS SA MORT

 

France Quéré a disparu il y a vingt ans. Ici nous reprenons les textes apparus dans Réforme en 2005, sur Marie.                             Une fenêtre vers la pensée de la théologienne protestante.

 

Marie : une belle impatience qui saisit le bonheur par les ailes :
Une jeune fille de Nazareth, Marie, est promise à Joseph, charpentier. Un ange entre chez elle et lui annonce qu’elle sera la mère du Messie dont il égrène les titres glorieux : « fils du Très-Haut », héritier du « trône de David », « roi pour l’éternité dans la maison de Jacob ».

C’est là une très grande nouvelle, mais toutes les filles d’Israël attendent avec leur nation le Messie et chacune caresse, en secret l’espoir d’être élue au cœur du peuple élu.

Quand l’ange s’adresse à Marie, il ne lui apprend donc rien qu’elle n’ait déjà beaucoup rêvé, et les mots magnifiques ne vont pas au-delà de ses songes quotidiens. La nouvelle, la seule, c’est que ce soit elle, Marie, qui ait été choisie « entre toutes les femmes » pour exaucer l’attente de tout le peuple. Voilà ce qui la comble de stupeur et de ravissement.

« Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ? » Un enfant saurait décomposer cette phrase en une proposition subordonnée : « Puisque je ne connais pas d’homme ». Cet enfant ferait bien de rappeler le peu de grammaire qu’il sait à nos vénérables savants. Car eux ont accordé le principal rôle à la subordonnée et ont négligé la principale. Ils ont démontré que tout le texte était une profession de virginité perpétuelle où Marie, très clairement, exprimait qu’elle ne se mariait que pour donner à son vœu ses plus fermes garanties ! Grattons, s’il vous plaît, l’écaille de la théologie et le vernis d’un moralisme qui invite toutes les femmes à imiter tant d’obéissance et d’effacement. Regardons Marie sans ce sourcil froncé du maître qui a déjà des intentions sur elle, et a décidé ce qu’elle serait. Regardons-la, autrement que ces vieillards autour de Suzanne, et surprenons seulement la vivacité d’une âme affolée par la joie.

Supposez que vous ayez entendu cette annonce de l’ange : « Vous serez la mère du Messie. » Vous partageriez la joie de Marie et vous attendriez patiemment que les choses suivent leurs cours : « Tu concevras » a dit l’ange, ce qui est la très ordinaire suite d’un mariage. C’est l’attitude que Marie aurait dû avoir si elle avait été d’une nature aussi soumise qu’on le dit. Car outre que l’obéissance ne fait pas la curieuse et ne pose pas de questions, elle devrait aussi accepter que l’événement survienne en son temps. L’ange ne lui a parlé qu’au futur.
Patience, que diable !

Or, voici que cette petite rouée (sauf le respect que je lui dois), dans sa hâte que cela arrive tout de suite, et surtout pas demain, crée de toute pièce l’impossibilité qui n’existerait pas si elle restait tranquillement dans la temporalité lointaine de l’ange. Le plus beau de tous les rêves, l’ange le lui a dit. S’il est pour demain, cela ne change rien à la nature d’un rêve qui est toujours dans temps autre que celui où l’on vit, et c’est comme s’il n’avait rien dit, et il s’est dérangé pour rien, avec ses grandes ailes blanches.

Dans la fièvre, Marie tire le rêve vers la réalité, quoi qu’il en coûte à la vraisemblance ainsi malmenée. Voyez comme sa réponse glisse du futur au présent : comment se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ?

Elle lui force un peu la main, à son ange, lui faisant dire ou faire plus qu’il n’en suggérait, le forçant à des explications, l’obligent surtout à dénouer une objection que l’impatience humaine crée.

« Comment cela se fera-t-il ? » La voilà, la phrase importante, qui est immense consentement à l’annonce. Non seulement elle ne tremble pas, mais elle relance et réclame plus. Assez rêvé ! Il faut que cela soit ! Son impatience emporte tout, comme une vague puissante efface les pas sur le sable. Que son père se fâche, que le fiancé se chagrine, que les voisins lapident, que le village la désigne du doigt, que sa mère pleure, rien, pas une pensée pour ceux-là, pas un regret, pas un mot. Les patriarches et leur morale barbue, elle s’en moque. Beau modèle d’obéissance que cette fille à laquelle la tradition prête à peine quinze ans.

La foi de Marie, c’est la fièvre, la hardiesse, les saintes lois profanées, un ange presque bousculé, les temps précipités par une belle impatience sauvage qui a saisi le bonheur par ses ailes et l’a offert à la terre éblouie.

 

Source: “Réforme.net” cité par “paris.catholique.fr

 

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