Sommaire
- 1 I L’Eglise des premiers siècles.
- 2 II Du troisième au dixième siècle
- 2.1 Abandon de la partie occidentale de l’ Empire par Byzance
- 2.2 Reconstitution d’un Empire occidental autour des Francs
- 2.3 “Schisme” de Photius (Patriarche de Constantinople 858-867)
- 2.4 Schisme de 1054
- 3 III De 1054 à la Quatrième croisade (1204)
- 3.1 Les excommunications de 1054 : un évènement, pas une rupture
- 3.2 Des conflits de pouvoir
- 3.3 Des ruptures politiques
- 3.4 Croisades et instauration de l’Église latine d’Orient
- 3.4.1 Exactions latines
- 3.4.2 Les fautes spirituelles et diplomatiques d’Antioche
- 3.4.3 Trahisons
- 3.4.4 La deuxième croisade (1147-1149)
- 3.4.5 Des Byzantins byzantins et des Francs pas francs
- 3.4.6 La quatrième croisade
- 3.4.7 13 avril 1204 : Prise et sac de Constantinople
- 3.4.8 Prise de pouvoir par les latins
- 3.5 Fin de l’empire latin de Constantinople (1204-1261)
- 4 IV Tentative de ré-union : Les concile de Lyon II et Florence
- 5 V L’Eglise de la fin du moyen-âge
- 6 VI Prise de Constantinople. la fin de l’Empire Romain d’Orient: 9 mai 1453
Selon nos traditions ecclésiales et nos cultures, nous avons des représentations de l’Eglise qui nous sont propres.
C’est ainsi que l’Eglise catholique déclare qu’en elle « subsiste » l’Eglise dans toute sa plénitude. Cela va conduire à un certain nombre de représentation ou l’Eglise Catholique est représentée par un tronc d’où les « hérétiques » de tout poil ou les « Eglises séparées » s’éloignent sous forme de branches diverses.
L’ors de la Rencontre du Bec-Hellouin organisée par l’ACONor en 2013 le Pasteur François Clavairoly, alors président de la Fédération Protestante de France, se représentait l’Eglise comme un buissonnement de rameaux divers…Comme dit le proverbe: « chacun voit midi à sa porte »
L’histoire de l’Eglise doit nous rendre modestes : l’unité des chrétiens fondée et enracinée dans la prière de Jésus (Jn 17,21) : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. » est un idéal confronté à notre réalité de péché, qui n’a jamais été pleinement réalisé. Même à l’origine (Pierre et Paul au « concile de Jérusalem » s’accordent…en se séparant !)
Je me propose dans une série d’articles de faire le point sur ces disjonctions -et aussi conjonctions- qui ont marqué nos différentes confessions chrétiennes
Beaucoup de renseignements viennent des pages Wikipédia
Autre source, absolument indispensable à la compréhension de l’histoire des Eglises de la Réforme : https://museeprotestant.org/
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I L’Eglise des premiers siècles.
Les définitions des quatre premiers conciles et leurs conséquences.
- d’une part le groupe des « judéo-chrétiens [1]» groupé autour de Jacques, frère du Seigneur, et -au moins au début- de Képhas-Pierre, reste attaché aux observances juives telles que décrites dans le pentateuque et estime qu’elles doivent être imposés à ceux qui reçoivent le baptême au nom de Jésus.
- d’autre part, un groupe dit des « hellénistes » composé de juifs qui parlent le grec et de non-juifs proches de la religion juive, qui fait preuve de plus de détachement vis-à-vis de la pratique stricte de la loi mosaïque entre autres vis-à-vis de la circoncision.
Des apôtres partent évangéliser au-delà de la Palestine : Thomas probablement jusqu’en Inde du sud; Marc [5] à Alexandrie et en Egypte; les terres slaves et Roumaines avec André etc… mais ce sont des données traditionnelles sans preuves historiques irréfutables.
Au cours des II° et III°s l’Eglise s’étend vers le monde gréco-romain avec Paul, mais aussi sémite (Eglise syriaque) et indienne (Eglise d’orient), ce qui ne va pas sans remise en cause : le contexte social et politique joue beaucoup. « Le pluralisme des expressions chrétiennes locales a généré aussi des crises identitaires [6]». Ce terme d’hérésies [7] ne devient péjoratif qu’avec les Pères de l’Eglise qui l’opposent à l’orthodoxie d’une Eglise qui se veut catholique i.e. universelle [8].
325 : concile œcuménique de Nicée I
Les empereurs succédant à Constantin revinrent à l’arianisme et c’est à cette foi que se convertissent la plupart des peuples germaniques qui rejoignent l’empire en tant que peuples fédérés. Les wisigoths d’Hispanie restèrent ariens jusqu’à la fin du VIe siècle et les Lombards jusqu’à la moitié du VIIe siècle.
381 : concile de Constantinople I (second œcuménique)
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Il établit un symbole de foi (symbole de Nicée-Constantinople) qui complète celui proclamé à Nicée et qui deviendra normatif pour toutes les Eglises Chrétiennes (Il sera reconnu comme œcuménique au concile de Chalcédoine en 451).
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En 424 l’Eglise d’Orient (ou d’Assyrie ou de Mésopotamie)
431 : Concile d’Ephèse (troisième œcuménique)
Il condamne le nestorianisme comme hérésie. À l’inverse des conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381) dont les questions théologiques portaient principalement sur l’unicité de Dieu, le concile d’Éphèse marque un tournant dans le dogme en définissant l’union hypostatique des deux natures, humaine et divine, du Christ.
451 : Concile de Chalcédoine (quatrième œcuménique)
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- Jérusalem devient Patriarcat de plein droit à titre honorifique.
Pour des raisons culturelles et géopolitiques, les Eglises de nombreuses régions aux marges de l’empire romain se sont séparées alors de l’Eglise gréco-latine et connaissent au long du temps des extensions ou des divisions. (Scission des Eglise dites des trois conciles[13])
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- Les missionnaires Capucins et Jésuites réussirent à ramener à Rome la majorité des Jacobites d’Alep. En 1662, l’Eglise Syriaque Catholique sera reconnue par la Sublime Porte des Ottomans.
- L’Eglise Malankare Orthodoxe Définitivement séparée en 1975 de l’Église syriaque orthodoxe est reconnue Eglise orthodoxe autocéphale.
- En 1930, l’archevêque Mar Ivanios de Bethany et son évêque suffragant Mar Théophile de Tiruvalla quittèrent l’Église syro-malankare orthodoxe (Église syriaque orthodoxe en Inde) pour rejoindre l’Église catholique romaine et rétablir la communion avec l’évêque de Rome. En 1932, Rome créa une métropole syro-malankare : l’Église catholique syro-malankare (de rite syriaque occidental).
Petit retour en arrière
Dans l’article précédent, nous avons vu comment, au gré des quatre premiers conciles œcuméniques et au fur et à mesure que les définitions christologiques s’affinaient, cela a provoqué des différences d’appréciations, les hérésies[1], qui sont devenues facteur de séparation est d’excommunication.
Avant d’aborder le problème de la séparation entre l’Eglise d’occident (Rome) et les Eglises d’Orient -en particulier Constantinople) il faut faire un retour en arrière sur ce qui se passe en occident de la fin de l’Empire Romain d’Occident [2] à la date de la rupture de 1054.
II Du troisième au dixième siècle
Des peuples venus d’Asie (les Huns), de Scandinavie (les Goths) et de l’Europe de l’Est (les Francs et les Alamans) morcellent l’ancien Empire romain d’Occident en petits royaumes. En de nombreux endroits, l’Église est la seule force demeurant sur place qui peut négocier avec les nouveaux maîtres. Elle y préserva en même temps l’héritage de Rome, les barbares, peuples illettrés, conservant les systèmes administratif et juridique romains -et ceux qui savent le faire fonctionner.
Abandon de la partie occidentale de l’ Empire par Byzance
Après que Justinien Ier eut repris l’Italie, l’empereur Maurice (539 – †602) transféra son représentant, l’exarque, à Ravenne.
En 590, une alliance est passée avec les Francs de Childebert II en vue d’anéantir les Lombards. Le roi franc envoie en Italie une armée, dont une partie se dirige vers Vérone. Pendant ce temps, les Byzantins, commandés par l’exarque, attaquent les Lombards.
Après les premiers succès et alors que les Lombards sont sur le point de céder, brusquement, les Francs s’en retournent dans leur patrie pour ne plus en revenir. Les Byzantins ne sont plus alors en mesure de gagner la guerre et de restaurer l’unité de la péninsule, l’exarchat récupère quelques territoires, mais en raison de cette campagne, les conditions socio-économiques dans la péninsule se détériorent.
Plus ou moins en même temps, le pape Grégoire Ier demande à plusieurs reprises l’aide militaire à Romanus contre les Lombards de Spolète, qui attaquent et pillent le territoire romain. L’exarque, parce qu’il a une stratégie différente, refuse régulièrement d’apporter de l’aide à Rome. Grégoire, devant l’inaction du pouvoir impérial, tente de négocier une paix avec les Lombards afin de soulager les souffrances de la population romaine : débute ainsi l’activité politique et temporelle de l’Église de Rome malgré les protestations de l’empereur et de l’exarque Romanus qui refusa de reconnaître les ententes conclues entre le pape et le chef lombard.
Reconstitution d’un Empire occidental autour des Francs
L’avance des Lombards se faisant de plus en plus inexorable, le pape Étienne II (règne 752 – †757) appela au secours Pépin le Bref (715 – †768) qu’il avait sacré roi des Francs deux ans plus tôt. Ce dernier remit au pape les terres dont les Lombards s’étaient emparés, y compris l’exarchat de Ravenne : ce fut le début des États pontificaux, créés à partir de territoires byzantins.
La papauté s’appuiera sur la fausse “Donation de Constantin” jusqu’à la Renaissance pour justifier la création des États pontificaux[3], jusque-là territoires en majeure partie byzantins.
Quelques années plus tard, le roi lombard Didier ayant dénoncé le traité conclu avec Étienne II, le pape Adrien Ier (règne 772 – †795) résolut de faire appel à Charlemagne (742 – †814). Qui traversant une première fois les Alpes, défit le roi Didier en 774 à Pavie et confirma les dons de son père.
Cinq ans après son élection, le nouveau pape, Léon III (règne 795 – †816 couronna Charlemagne en le proclamant « imperator Augustus ». Ce faisant, le pape renversait la situation et se donnait le droit d’investir l’empereur des Romains, ce qui sous-entendait la supériorité de l’Église sur l’Empire. Il pouvait alors justifier cette autorité par le faux document, « la Donation de Constantin », selon lequel Constantin, reconnaissant la primauté du pape d’alors, Sylvestre (règne 314 – †335), lui aurait donné le droit de concéder la couronne impériale à qui bon lui semblerait..
“Schisme” de Photius (Patriarche de Constantinople 858-867)
Ce schisme politico-religieux, qui n’affecta que l’Église d’Orient mais qui devait être la cause indirecte du schisme de 1054, fut le résultat de la chute du patriarche Ignace et de sa protectrice, l’impératrice Théodora. Le nouvel empereur, Michel III (règne 842 – †867) fit remplacer Ignace par Photius (843 – patriarche 858-867 – †886), un laïc haut fonctionnaire responsable de la chancellerie impériale. Celui-ci reçut tous les ordres ecclésiastiques en six jours de façon à être intronisé pour les fêtes de Noël 858.
Choqué par cette procédure, le pape Nicolas Ier (pape 858 – †867) décida trois ans plus tard d’envoyer des légats à Constantinople avec mission d’enquêter sur ces irrégularités. Il se disait prêt à passer l’éponge sur celles-ci pourvu que l’Illyrie, la Sicile et la Sardaigne soient retournées au Saint-Siège. Or l’Illyrie recoupait la majorité des Balkans où la Bulgarie et la Moravie à l’Ouest songeaient à se convertir au christianisme. Constantinople ne pouvait accepter ces conditions
Prétentions abusives du Pape Nicolas
Aussi un concile tenu à Rome en 863 décréta qu’Ignace était toujours le patriarche légitime et réduisit Photius au rang de laïc. Ce n’est que deux ans plus tard que l’empereur rompit le silence dans une lettre qui rappelait au pape qu’il avait été invité à envoyer des délégués pour discuter de l’iconoclasme et non des affaires intérieures de l’Église byzantine.
La réponse du pape Nicolas montrait à quel point la mésentente était grande entre les deux Églises : il y affirmait que seul le pape pouvait convoquer un concile et que sans sa permission nul patriarche ne pouvait être nommé ou déposé. De plus, l’autorité de Rome s’étendait « super omnem terram, id est, super omnem ecclesiam »; en tant que pape, il avait donc le pouvoir de juger du cas d’Ignace.
L’imbroglio slave
À la même époque, le tsar Boris, qui avait demandé en vain l’envoi d’un patriarche grec, se tourna vers Rome qui se hâta de lui envoyer des missionnaires francs, lesquels professaient le credo en y incluant la formule du Filioque. Furieux, Photius convoqua un synode qui déclara le pape déposé et anathématisé en 867. Sur ces entrefaites, Basile le Macédonien (règne 867 – †886) renversa Michel III et s’empara du pouvoir, tout prêt à sacrifier Photius pour être reconnu par le pape et le parti des Ignatiens.
Ignace fut donc réinstallé en novembre 867. À peu près à la même époque, le pape Nicolas mourut et fut remplacé par Adrien II (règne 867 – †872). Un synode se tint à Saint-Pierre de Rome en 869 qui condamna Photius et le synode de 867, ne reconnaissant les évêques qui l’avaient appuyé que s’ils signaient un « libellus satisfactionis » qui affirmait que la Foi avait été maintenue par le Saint-Siège. Après quoi, le pape envoya des légats à un concile devant se tenir à Constantinople à l’automne.
Contrairement aux attentes de Rome, non seulement les évêques se montrèrent-ils hostiles au libellus, mais le concile conclut que l’accord des cinq patriarches était nécessaire pour toute décision de nature théologale (canon 21). Les occidentaux furent à nouveau défaits lorsque la question du siège dont relèverait la Bulgarie fut mise aux votes : le concile décida qu’il appartenait à l’empereur de trancher la question. Le pape était près d’excommunier Ignace lorsque celui-ci mourut en 877.
Une réconciliation ambigüe
L’empereur choisit alors de réinstaller Photius dont il avait appris à apprécier les talents. Ce dernier pour sa part voulait une réconciliation avec Rome, tout comme le pape Jean VIII (pape 872 – † 882). Un nouveau concile fut donc tenu à Constantinople en 879 qui annula les actes du concile de 869, affirma la parfaite orthodoxie de Rome, tout en anathématisant ceux qui ajouteraient quelque chose au credo de Nicée (autre effet des difficultés linguistiques, le grec des légats n’était peut-être pas suffisant pour qu’ils sachent ce qu’ils signaient). Par ailleurs, l’empereur envoya un message assignant l’Église de Bulgarie à Rome – ce que refusa le tsar bulgare.
L’harmonie était ainsi retrouvée entre Rome et Constantinople de telle sorte que lorsqu’un nouveau schisme se déclara, à l’intérieur de l’Église de Constantinople cette fois, concernant le quatrième mariage de l’empereur Léon VI (règne 886 – † 912), le tact du patriarche et la prudence du pape évitèrent tout nouveau conflit.
Schisme de 1054
Causes religieuses
Si la fin du schisme de Photius marqua le début d’une période d’apaisement entre les deux hiérarchies, elle fut aussi le point de départ d’une autre querelle à l’origine du schisme de 1054 : la querelle du Filioque. Dans une Encyclique aux patriarches de l’Est, le patriarche Photius dénonçait cet ajout au credo de Nicée par l’Église d’Occident qu’il accusait d’hérésie. Le Credo de Nicée (325) disait simplement que Dieu le Fils « procédait » du père et restait silencieux sur la nature du Saint-Esprit. Cet ajout (« ex patre filioque procedit ») affirmait que le Saint Esprit procédait à la fois du Père et du Fils.
Cette expression avait été adoptée au IIIe Concile de Tolède en 589 pour contrer l’arianisme prévalant alors en Espagne wisigothique jusqu’à la conversion du roi Récarède. À partir de là, elle fut adoptée en Gaule pour lutter contre les chefs francs qui étaient tous ariens. Tous, sauf Clovis (voir plus haut) qui s’était converti au catholicisme romain. Charlemagne, dans sa lutte contre les autres chefs francs, voulut faire pression pour qu’elle soit introduite dans le Credo, ce à quoi s’opposa fermement le pape Léon III (pape 795 – †816). Au cours du IXe siècle, la formule fut progressivement adoptée par les Églises d’Allemagne et de Lorraine. Des clercs allemands l’apportèrent à Rome. L’influence allemande grandissant à Rome, un des successeurs de Léon III, Benoit VIII (pape 1012 – †1024), qui avait désespérément besoin de l’appui de l’empereur dans la lutte qui l’opposait aux grandes familles romaines, finit par s’y résoudre 200 ans plus tard, lorsque l’empereur Henri II alla se faire couronner à Rome.
Causes politiques
L’hostilité à l’endroit de l’influence allemande aidant, c’est moins la question de la procession du Saint-Esprit qui faisait problème que de savoir si le pape était habilité à imposer seul une telle décision à l’ensemble de l’Église. Pour les Orientaux, le symbole de Nicée ayant été adopté par un concile réunissant toutes les Églises ne pouvait être modifié que par un autre concile œcuménique.
La pentarchie
On glissait ainsi du plan théologique au plan de l’administration de l’Église. Dans son édit 131, l’empereur Justinien avait promulgué que le gouvernement de la chrétienté serait confié aux cinq patriarches de l’Église sous l’égide d’un empire universel, ce que l’on appela la « pentarchie ».
Rome se voyait concéder la primauté en raison de son lien historique avec la ville impériale. Tel que mentionné plus haut, il s’agissait donc d’une primauté d’honneur allant à la ville et non à l’individu qui y occupait le poste de patriarche. Du reste, cette primauté d’honneur n’était définie nulle part et ne n’impliquait aucune suprématie sur les autres patriarches.
Rome et le pouvoir
En Occident, les invasions avaient fait du pape l’unique force pouvant tenir tête aux barbares. Celui-ci était ainsi naturellement devenu non seulement le guide spirituel, mais aussi temporel des chrétiens d’Italie. Et si, comme on l’a vu avec Charlemagne, la papauté eut besoin de l’aide matérielle de l’empereur pour maintenir son pouvoir temporel sur la ville de Rome, elle tentera de s’en émanciper dès que le Saint-Empire romain sera créé.
L’harmonie qui régna entre Otton Ier (912 – †973) et le pape d’alors fut remplacée dans les siècle suivants par une opposition croissante entre les deux. Grégoire VII (pape 1073 – †1085) parviendra à humilier l’empereur Henri IV (1050 – † 1106) à Canossa en 1077 et publia le Dictatus Papae, un recueil de 27 propositions affirmant la suprématie papale, incluant le pouvoir de nommer et de rejeter les souverains temporels et se réservant le titre exclusif de souverain « universel » ou œcuménique, une allusion directe à son collègue de Constantinople.
Les causes secondaires
Si ces sujets concernaient surtout les hautes sphères de la hiérarchie, la question du célibat ecclésiastique, imposé par Grégoire VII à toute l’Église sans concertation avec les autres évêques de la pentarchie, touchait l’ensemble du clergé et traduisait l’influence des réformateurs de Lorraine qui avaient l’appui de l’empereur germanique et de ceux de l’abbaye de Cluny. De même, à leurs yeux, les critiques adressées par l’Église latine aux Églises grecques concernant l’utilisation du pain avec levain, le jeûne du samedi durant la période du carême ou le baptême par une immersion au lieu de trois étaient autant de preuves que l’Église d’Occident voulait leur imposer ses propres coutumes germaniques et ignorait complètement leur propre développement historique.
Excommunications de 1054
Les principaux acteurs du drame
Ce furent le patriarche de Constantinople, Michel Cérulaire, et le légat du pape Léon III, le cardinal Humbert de Moyenmoutiers, cardinal de Silva Candida), appuyés par leurs supérieurs respectifs, le basileus Constantin IX (vers 1000 – †1055) à Byzance et les papes Léon IX (pape 1049 – †1054) et Victor II (pape 1055 – †1057) à Rome.
Léon IX capturé par les Normands en 1053, fut emmené en captivité à Bénévent où il commença l’étude du grec. Les Normands autorisèrent son premier secrétaire, le cardinal Humbert, à venir l’assister.
D’accord sur un seul sujet: la rupture. Bêtise franque et désunion greque.
Accompagné de l’archevêque d’Amalfi (territoire byzantin) et de Frédéric de Lorraine, chancelier du Saint-Siège et futur pape Étienne IX (règne 1057 – †1058), il partit pour Constantinople en avril 1054.
Insatisfaits dès l’abord de l’accueil qu’ils reçurent, les légats se rendirent d’abord chez le patriarche où ils lui remirent avec hauteur la lettre qui lui était destinée avant de se retirer sans échanger les compliments d’usage. Le patriarche fut choqué du ton de la lettre et mit en doute le statut de la délégation envoyée par un pape prisonnier.
Celle-ci toutefois reçut un accueil très cordial de l’empereur, alors que le patriarche décidait simplement de l’ignorer et de ne plus avoir de contact avec elle.
Le climat se dégrada avec la publication de la lettre du pape ainsi que de deux documents qu’Humbert avait apportés avec lui. La lettre du pape provoqua une réponse, polie mais ferme, d’un moine du monastère de Studium du nom de Nicetas Stethatus. Elle provoqua la fureur du cardinal Humbert qui répondit par un torrent d’insultes.
Inquiet pour l’avenir de l’entente qu’il souhaitait, l’empereur força le moine à se rétracter et consentit même à discuter avec le cardinal de la question du Filioque, alors que le patriarche continuait à garder le silence et que le peuple s’irritait de cette ingérence dans les affaires de son Église.
Le samedi 16 juillet 1054, les trois ex-légats se rendirent à Sainte-Sophie alors que l’on s’apprêtait à célébrer l’office de l’après-midi et déposèrent devant les fidèles une bulle excommuniant le patriarche et ses assistants, avant de repartir non sans avoir symboliquement secoué la poussière de leurs souliers.
Fort de l’appui de son Église, le patriarche alla se plaindre à l’empereur pendant que la population ameutée grondait contre cette insulte à l’Église de Constantinople. L’empereur dut annoncer que la bulle incriminée serait solennellement brûlée.
Le dimanche 24 juillet, un synode convoqué à la hâte jeta l’anathème sur le cardinal de Moyenmoutiers et ses assistants, sans mentionner toutefois le pape ou l’Église d’Occident en général, espérant sans doute une déclaration du prochain pape à l’effet que la délégation avait outrepassé ses pouvoirs.
Réactions en Orient et en Occident
En dépit de son caractère spectaculaire, cet épisode ne fut considéré à Constantinople que comme l’une des péripéties qui marquaient de plus en plus souvent les relations entre les hauts dirigeants des deux Églises : les excommunications étaient dirigées vers leurs dignitaires et non contre les Églises elles-mêmes, il n’y avait donc pas de schisme à proprement parler.
La réaction fut plus marquée en Occident où les réformes entreprises par les empereurs allemands pour restaurer la crédibilité et l’influence morale de la papauté portaient fruit. Le rapport que fit le cardinal de Moyenmoutiers de sa mission fut reçu avec enthousiasme, l’anathème prononcé contre le patriarche étant vu comme la juste rétribution des accusations grecques contre l’Église latine. Le cardinal conserva sa place comme chef de file de la curie romaine. Le principal résultat toutefois devait être une acrimonie grandissante entre les deux Églises qui se traduisit à Constantinople par la publication d’un pamphlet intitulé “Contre les Francs”.
III De 1054 à la Quatrième croisade (1204)
Les excommunications de 1054 : un évènement, pas une rupture
Si crise il y avait à Constantinople, il s’agissait plutôt d’une crise interne dans laquelle le patriarche avait marqué des points contre l’empereur soupçonné de sympathies pro-occidentales.
Les excommunications réciproques ne mirent nullement un terme aux négociations : le pape envoya une délégation à Constantinople, mais celle-ci avait tout juste atteint Bari qu’arriva la nouvelle de sa mort. Instruits par les évènements de 1054, les délégués retournèrent prudemment à Rome.
Son successeur, Nicolas II (pape 1058 – † 1061) mena une politique anti impériale (entendre contre l’empereur germanique). Il affranchit la papauté en 1059 de la tutelle impériale en remettant l’élection du pape entre les mains du seul collège des cardinaux et interdit la nomination des évêques sans l’approbation du pape. Réalisant que la domination normande sur le sud de l’Italie était un phénomène irréversible, il se rendit la même année en Italie du sud et reçut les serments de fidélité des princes normands. Bien que ce geste ait été dirigé contre l’empire germanique, il provoqua un ressentiment considérable à Constantinople.
Sans parler de schisme, on se rendait bien compte que les deux Églises n’étaient plus sur la même longueur d’onde et que la question d’une « réunification » s’imposait. Toutefois, le terme même de réunification n’avait pas la même signification dans les deux capitales.
Des conflits de pouvoir
Le nouveau pape, Grégoire VII (pape de 1073 à † 1085), a un règne beaucoup plus long que ceux de ses prédécesseurs immédiats. Il développait la théorie selon laquelle le pouvoir spirituel du pape s’étendait au domaine politique et que « la papauté était à l’empereur et aux autres monarques européens ce que le soleil était par rapport à la lune ».
Cette doctrine ne pouvait être acceptée à Constantinople, qui tenait depuis longtemps que l’autorité suprême de l’Église en matière doctrinale résidait dans un concile œcuménique où toutes les Églises étaient appelées à participer, et en matière de gouvernance entre les mains de la pentarchie, c’est-à-dire du collège formé par les patriarches de Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem. Si le patriarche de Rome avait droit à une primauté d’honneur, il en allait de même, d’une certaine façon, de l’empereur de Constantinople au titre de « vice-roi de Dieu sur terre ».
À partir de ce moment, la réunification des Églises devint un sujet de négociation perpétuel jusqu’à la chute finale de Byzance.
Des ruptures politiques
En 1078, soit vingt-quatre ans après l’incident de 1054, le basileus Michel VII (né vers 1050 – †1090) fut renversé par une révolution de palais qui porta au trône Nicéphore Boteniatès (règne 1078 – †1081), lequel annula la promesse de mariage entre le fils de Michel VII et la fille de Robert Guiscard.
Furieux, celui-ci annonça qu’on avait trouvé à Rome le malheureux Michel VII évadé de Constantinople. Le pape prit fait et cause pour ce prétendant et excommunia solennellement l’empereur Boteniatès : c’était la première fois depuis plusieurs siècles qu’éclatait une rupture formelle des liens entre la papauté et la cour impériale de Constantinople. Encore une fois, l’épisode n’eut pas tellement de répercussions, Constantinople s’enfonçant dans une guerre civile dont Alexis Comnène (règne 1081 – †1118) sortit vainqueur.
Mais lorsque le pape excommunia également ce dernier et que celui-ci, après avoir fait fermer les églises latines de Constantinople, chercha un rapprochement avec l’empereur Henri IV qui luttait contre Grégoire VII et ses alliés normands, un changement subtil d’alliances se produisit : jusqu’alors, lorsque les choses allaient mal entre le basileus et le patriarche, le premier pouvait toujours s’appuyer sur Rome pour forcer le patriarche à adopter son point de vue.
À partir de ces deux excommunications, basileus et patriarche commencèrent à faire front commun contre Rome.
Des accords ambigus
Les choses changèrent avec la mort de Grégoire VII et l’élection d’Urbain II (pape 1088 – †1099). Le pape et l’empereur ayant pour des raisons politiques besoin l’un de l’autre, s’ensuivit une décennie de paix et d’amitié entre les deux Églises.
Hélas, la bonne volonté manifestée par le pape fut aussi la cause d’un terrible malentendu. Pour Urbain II, l’union entre les Églises d’Orient et d’Occident signifiait aussi une union contre l’islam. Or, l’idée même de croisade était étrangère à la pensée byzantine.
Alors que le pape appelait à un grand rassemblement des peuples chrétiens pour reconquérir Jérusalem et la Palestine, Alexis désirait surtout l’aide d’un nombre restreint de chevaliers bien aguerris pour combattre non l’Islam en général, mais les Turcs qui grugeaient son empire. De plus, l’idée même d’une guerre sainte était inacceptable pour les Byzantins qui ne pouvaient concevoir de guerre « juste » même si elle pouvait s’avérer nécessaire et qui s’étonnèrent toujours de voir les aumôniers accompagner les soldats et, plus encore, des évêques diriger des troupes.
Croisades et instauration de l’Église latine d’Orient
Exactions latines
Lorsque les croisés prirent Jérusalem, le patriarche Siméon était décédé et ses évêques en exil. Ils choisirent donc l’un des leurs comme patriarche.
Toutefois, le roi Baudoin Ier (1171, empereur latin 1194 – † 1205 ou 1206) se hâta de rétablir les Grecs dans leurs droits. Après lui, la couronne se fit le défenseur des intérêts du peuple contre le clergé latin.
Cependant, si les relations demeurèrent tendues entre les deux communautés, il est évident qu’à la fin du XIe siècle, tant à Rome qu’à Constantinople, les autorités des deux Églises ne considéraient pas qu’il y ait schisme entre elles.
Les fautes spirituelles et diplomatiques d’Antioche
Si l’existence de deux patriarches pour le territoire d’Antioche fut la première manifestation d’un schisme, l’appui donné par le pape Pascal II à Bohémond fut la deuxième.
Trahisons
Les relations entre Rome et Constantinople se dégradèrent lorsque Baudoin Ier écrivit au pape Pascal II (règne 1099 – † 1118) en 1102 pour se plaindre du manque de collaboration de l’empereur Alexis. Furieux, le pape prit position pour les Latins. Et lorsque Bohémond de Tarente se rendit à Rome, il n’eut aucune difficulté à convaincre celui-ci de la trahison des croisés par le basileus et de la nécessité de prêcher une croisade, non plus contre les Turcs mais contre Constantinople.
Prêcher une croisade contre l’empire et par conséquent contre l’ensemble des orthodoxes équivalait à considérer ceux-ci comme schismatiques au même titre que les infidèles.
Le schisme entre les patriarcats d’Orient et celui d’Occident se concrétisa ainsi avec la création par les croisés de patriarcats latins dans leurs propres colonies, existant parallèlement aux patriarcats grecs, chaque communauté ne se référant qu’à son propre patriarche.
La deuxième croisade (1147-1149)
Elle devait élargir l’animosité existant entre les autorités politiques et religieuses aux peuples occidentaux et orientaux de la chrétienté.
Après avoir arraché Jérusalem aux mains des musulmans en 1099, les croisés avaient fondé quatre États latins (Royaume de Jérusalem, Principauté d’Antioche, Comté d’Édesse et Comté de Tripoli) qui se trouvèrent rapidement isolés en Orient. Prêchée par Bernard de Clairvaux, cette croisade était conduite par le roi de France et l’empereur germanique et réunissait des princes de toute l’Europe occidentale. Effrayé par la dimension de cette armée qui devait traverser son empire et redoutant une attaque de Roger II de Sicile (1095 – †1154), l’empereur Manuel conclut une alliance avec le sultan seldjoukide Mas`ûd.
Il fut aussitôt considéré comme traitre à la cause chrétienne par les croisés.
Durant leur passage dans les Balkans, les armées germaniques se livrèrent au pillage, si bien que lorsqu’elles arrivèrent, les armées françaises trouvèrent vides les points d’approvisionnement préparés par l’empereur à l’intention des croisés. Les deux armées pillèrent les environs de Constantinople, provoquant la colère de leurs habitants.
Des Byzantins byzantins et des Francs pas francs
Byzance étant en guerre avec la Sicile, des navires byzantins capturèrent les navires transportant les Francs, y compris les bagages du roi de France qui ne les put recouvrer que quelques mois plus tard.
Il est à noter toutefois que les relations de Constantinople avec les princes latins d’Outremer (sauf pour Antioche), qui comprenaient mieux la géopolitique de la région, demeurèrent excellentes, et que même l’échec de l’expédition en Égypte conduite avec le royaume de Jérusalem en 1169 ne nuisit guère à leurs relations.
Les choses empirèrent encore avec la mort de Manuel en 1180.
Les relations entre Rome et Constantinople furent rompues et ne reprirent que lorsque le nouvel empereur, Andronic (1183 – †1185), fut remplacé par Isaac II Ange (1185 – 1195 et 1203 – 1204). Mais l’alliance conclue par celui-ci avec Saladin continua à lui valoir la haine des Occidentaux, surtout après que Saladin eut reconquis Jérusalem et ait réinstallé un patriarche grec dans la sainte cité en 1187.
La conquête de Chypre par Richard Cœur de Lion et la subordination du clergé grec au clergé latin dans l’ile aggrava encore cette rancœur.
Si l’Église constantinopolitaine considéraient que l’Église de Rome s’était séparée des quatre autres Églises de la Pentarchie, il semble bien qu’à la fin du siècle les Latins considéraient pour leur part que l’Église de Constantinople, par son refus d’accepter la suprématie de Rome, était en état de schisme, même si ni l’une ni l’autre partie ne pouvait dire depuis quand précisément ce fossé s’était creusé.
La quatrième croisade
La quatrième croisade devait mettre fin à cette incertitude.
Le pape Innocent III (pape 1198 – † 1216) souhaitait la mise sur pied d’une croisade dès le début de son pontificat. Pour lui, Byzance ne devait pas être prise par les armes, mais, après s’être soumise à Rome par l’union des Églises, devait se joindre aux autres forces chrétiennes pour reprendre la Terre sainte.
Toutefois, le contrôle de la croisade lui échappa dès que les croisés choisirent comme chef le marquis Boniface de Montferrat (né vers 1150, roi de Thessalonique 1205 – †1207), ami de l’empereur germanique Philippe de Souabe qui refusait de reconnaître la suprématie pontificale.
Et quand, après quelques semaines, 136.000 marcs demeurèrent impayés, il s’arrangea pour que, parqués dans l’île Saint-Nicolas du Lido, les Croisés eussent assez faim pour comprendre. Cette maudite dette, les Vénitiens accepteraient d’en tenir quittes leurs amis, à condition d’ aller prendre pour eux la ville dalmate de Zara, leur concurrente de l’Adriatique.
Ainsi fut fait. « Au lieu de gagner la Terre Promise, rugit Innocent III, vous avez eu soif du sang de vos frères! Satan, le séducteur universel, vous a séduits. » Et il signifia aux chefs croisés qu’ils étaient excommuniés!
A ce moment arriva, rejoignant la Croisade, le jeune Alexis, fils du Basileus détrôné Isaac l’Ange, à qui Alexis III avait fait crever les yeux. Par hasard? Le jeune homme agissait-il de sa propre initiative en venant supplier les Croisés de rendre le trône à son père, et en promettant de l’argent (200.000 marcs), des vivres, des soldats, le remboursement de toutes les dettes des Croisés, sans parler de la fin du Schisme ?
Comme il était le beau-frère de Philippe de Souabe, adversaire du Pape et excommunié, on se demanda si le coup n’avait pas été prémédité entre eux et Boniface de Montferrat, gibelin [1] notoire, pour empêcher qu’une victoire de la Croisade en Palestine ne mît le comble à la gloire d’innocent III. Au surplus, entraîner les troupes contre les Byzantins n’était pas difficile : ces traîtres, ces voleurs, ces criminels, qui, en 1182, s’étaient livrés à un affreux massacre des Latins, ne méritaient-ils point un châtiment?
Les Vénitiens, eux, pensaient au marché oriental à conquérir… Rares furent donc les Croisés qui s’opposèrent à ce détournement de l’entreprise : parmi les grands, Simon de Montfort fut à peu près le seul à s’indigner.
Innocent III n’avait pas été tenu au courant, mais il pressentait le mauvais coup. En acceptant de lever l’excommunication, il avait écrit aux Croisés : « Plaise à Dieu que votre repentir soit sincère et qu’il vous empêche de commettre les mêmes fautes I Car celui qui refait, justement, ce dont il se repent, n’est pas un pénitent, mais un trompeur ; c’est un chien qui retourne à son vomissement! » Quand cet avertissement arriva à Zara, l’expédition cinglait déjà vers Byzance. »[2]
Les croisés durent se plièrent donc aux désirs des Vénitiens et aidèrent ceux-ci à reprendre la ville de Zara (aujourd’hui Zadar), possession du roi de Hongrie, fervent catholique.
Le pape comprit immédiatement son erreur initiale et excommunia les croisés.
Ce que fut l’arrivée des Croisés devant Constantinople, Villehardouin l’a dit en une page célèbre : «Alors, ils virent tout à plein Constantinople, ceux des nefs et galères et des huissiers; et vous pouvez savoir combien ils la regardèrent, eux qui ne l’avaient jamais vue, car ils ne pouvaient penser qu’il y eût de par le monde une si riche ville, quand ils virent ces hauts murs et ces riches tours qui l’ enclosaient, et ces riches palais et ces hautes églises, dont il y avait tant que c’était incroyable, et la largeur et la longueur de cette ville qui sur toutes était souveraine. » Et Je chroniqueur honnête d’ajouter « qu’il n’y eut homme si hardi à qui la chair ne frémît ».
En fait, la résistance ne dura guère. Le 17 juillet 1203 l’assaut réussit, Alexis s’enfuit, cédant la place à Isaac et à son fils Alexis IV.
Mais les relations entre occupants et occupés furent ce qu’on pouvait prévoir : arrogantes et vexatoires d’un côté, haineuses de l’autre. Les sujets d’Isaac II et Alexis IV pensaient, non sans raison, que leurs maîtres les exploitaient au bénéfice des Latins. D’où l’explosion de colère qui, au début de 1204, proclama Empereur sous le nom d’Alexis V l’agitateur Doukas dit Murzuphle, et liquida les deux basileis.
Furieux, les Croisés décidèrent de frapper.
13 avril 1204 : Prise et sac de Constantinople
Et ce fut, le 13 avril 1204, le second siège de Constantinople, le second assaut.
Trois jours suffirent, mais ce fut atroce. Il faut lire le récit de Nicétas Acominate, pour sentir quelle boue fut jetée sur la Croisade. « Ils brisèrent les Saintes Images adorées des fidèles. Ils jetèrent les reliques des Martyrs en des lieux infâmes que j’ai honte de nommer. Dans la grande église (Sainte-Sophie), ils brisèrent l’autel fait de matières précieuses et s’en partagèrent les fragments. Ils y firent entrer leurs chevaux, volèrent vases sacrés, or et argent ciselés arrachés de la chaire, du pupitre et des portes. Une fille publique s’assit dans la chaire patriarcale et y entonna une chanson obscène… »
Et le Grec n’exagère pas, car Innocent III, quand il apprit ce sac odieux, laissant éclater son indignation, écrivit de même : « Ces défenseurs du Christ, qui ne devaient tourner leurs glaives que contre les Infidèles, se sont baignés dans le sang chrétien. Ils n’ont épargné ni la religion, ni l’âge, ni le sexe. Ils ont commis à ciel ouvert adultères, fornications, incestes… On les a vus arracher des autels les revêtements d’argent, violer les sanctuaires, emporter icônes, croix et reliques »[3]
Prise de pouvoir par les latins
Une fois Constantinople prise et le jeune Alexis installé sur le trône avec son père, il fut bien incapable de tenir ses promesses, les coffres étant vides.
Croisés et Vénitiens se partagèrent alors l’empire.
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- le royaume de Thessalonique, conquis par Boniface de Montferrat et qui s’étend sur la Macédoine et laThessalie.
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- le duché d’Athènes, dont la capitale est fixée à Thèbes, octroyé à Othon de la Roche, et qui devient la terre d’accueil pour les Latins, qui supplantent les aristocrates grecs.
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- le duché de Naxos, que se constitue le Vénitien Marco Sanudo, neveu du doge Enrico Dandolo, regroupant toutes les îles de l’archipel des Cyclades ;
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- la principauté d’Achaïe ou de Morée, gouvernée par Geoffroi Ier de Villehardouin et partagée en douze baronnies, y compris les terres données aux Hospitaliers, aux Templiers et à l’archevêque de Patras.
Il fut entendu entre eux que si le trône impérial revenait à un croisé, le patriarcat irait aux Vénitiens et vice-versa. Le doge Dandolo réussit à faire nommer le Vénitien Thomas Morosini premier patriarche latin de Constantinople, en lieu et place du patriarche Jean X Camaterus qui alla trouver refuge à Didymotique.
Innocent III n’avait été consulté ni par les chanoines de Sainte-Sophie nommés par les Vénitiens pour élire le patriarche, ni même consulté sur le choix de Morosini. Réalisant que le but des croisés n’était pas d’aller en Terre sainte, sincèrement choqué par les massacres de chrétiens -schismatiques mais chrétiens tout de même- il commença par déclarer la nomination de Morosini nulle et non avenue avant de nommer lui-même Morosini patriarche et d’exiger que Rome nomme ses successeurs.
Plusieurs problèmes se posaient au niveau ecclésiastique.
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- La création des États latins et l’arrivée massive de gens venus d’Europe exigeaient la création d’une Église latine avec sa hiérarchie et ses clercs pour s’occuper de ces gens qui ne parlaient pas le grec.
- Par ailleurs, il existait déjà une hiérarchie grecque s’occupant de la population locale. L’Église grecque ne pouvait ni être simplement abolie, ni latinisée.
Innocent III ordonna que la hiérarchie grecque puisse exister comme par le passé pourvu qu’elle reconnaisse la suprématie de Rome et inscrive le nom du pape et du patriarche latin de Constantinople dans ses diptyques. C’était trop demander à la plupart des évêques grecs qui prirent le chemin de l’exil et allèrent se réfugier dans les États successeurs d’Épire, de Trébizonde ou de Nicée.
Plus personne ne pouvait douter qu’il existait bien un schisme entre les Églises chrétiennes d’Orient et d’Occident.
Fin de l’empire latin de Constantinople (1204-1261)
L’empire latin de Constantinople n’est du début à la fin qu’une longue décadence.
Après la prise de Constantinople par les Francs (1203 et 1204) et la création des états latins d’Orient le chaos s’installa et ce pseudo empire latin de Constantinople eut à sa tête un empereur, Beaudoin de Flandre, sans prise sur ses présumés vassaux [7] et un patriarche, le vénitien Morosini, sans autorité sur ses ouailles qui le rejetaient.
Entre 1204 et 1231, en moins de trente ans, six empereurs vont se succéder. Le dernier, Beaudoin II, un enfant de onze ans, associé à Jean de Brienne est vaincu en 1261 par Michel VIII Paléologue qui reprend Constantinople, met fin à l’empire latin, et restaure l’empire byzantin[8].
Répercutions et résolution
En 2004 le Patriarche œcuménique de Constantinople Bartholoméos I déclarait à propos du sac de Constantinople:
« En 1204, Constantinople a été saccagée de façon inhumaine et barbare, comme si c’était une ville d’infidèles et non de chrétiens partageant la foi des assaillants. La hiérarchie ecclésiastique latine a été installée dans cette ville comme dans beaucoup d’autres, comme si la hiérarchie orthodoxe n’était pas chrétienne. Il a été proclamé qu’au dehors de l’Église pontificale il n’y a pas de salut, ce qui signifiait que l’Église orthodoxe ne sauve pas les âmes. C’est alors qu’un effort imposant de latinisation – de matrice franque – de l’Église orthodoxe d’Orient a été entrepris. Latinisation qui été réalisée ensuite de façon systématique.
Ce comportement d’une extrême dureté a creusé l’abîme psychologique qui sépare l’Orient et l’Occident. Et c’est ainsi que l’on est arrivé à la situation actuelle dans laquelle de nombreuses Églises orthodoxes, unanimement ou en majorité, contestent la sincérité des intentions unionistes de l’Église catholique romaine à l’égard de l’Église orthodoxe et regardent avec méfiance l’espoir d’arriver à l’union à travers le dialogue. Ils ne voient dans cette tentative qu’un moyen pour l’Église catholique d’absorber les orthodoxes et de les soumettre au Pape. Nous, personnellement, nous considérons que le dialogue est toujours utile et nous espérons qu’il portera ses fruits, même s’ils mûrissent lentement. Au-delà des tentatives humaines de la bonne volonté, nous comptons sur l’illumination de l’Esprit Saint, sur la grâce divine qui guérit les maladies et supplée ce qui manque. »[5]
Alors que Bartholomée Ier, patriarche de Constantinople, visitait le Vatican, Jean-Paul II a demandé : « Comment pouvons-nous, partager après huit siècles, la douleur et le dégoût ». Cela fut considéré comme une demande de pardon à l’Église orthodoxe grecque du fait du terrible massacre perpétré lors de la quatrième croisade.
En avril de la même année, dans un discours sur le 800e anniversaire de la capture de la ville, le patriarche œcuménique Bartholomée Ier a formellement accepté les excuses du Pape Jean-Paul II. « L’esprit de réconciliation est plus fort que la haine », a-t-il dit au cours d’une liturgie en présence de l’archevêque catholique romain de Lyon Philippe Barbarin. « Nous recevons avec gratitude et respect votre geste cordial pour les événements tragiques de la quatrième croisade. “Nous recevons avec gratitude et respectons votre geste chaleureux pour les événements tragiques de la quatrième croisade. Il est un fait que le crime a été commis ici, dans la ville il y a 800 ans ». Bartholomée Ier expliqua que son acceptation était issue de l’esprit de Pâques : « L’esprit de la réconciliation de la résurrection … nous incite à la réconciliation de nos Églises. »[6]
Les anathèmes réciproques de 1054 ont été levés le 7 décembre 1965 par le Pape Paul VI et par le patriarche œcuménique Athénagoras Ier |
S’interrogeant sur les raisons pour lesquelles les événements de la quatrième croisade demeurent une cause de l’animosité des orthodoxes vis à vis des catholiques, l’auteur estime qu’il convient d’y reconnaître un conflit culturel plutôt qu’un déplacement dogmatique.
[4] À partir de l’analyse de deux opinions canoniques de Dèmètrios Chomatenos dans les années 1220, il montre que ces anciennes interprétations canoniques, interdisant explicitement l’unité sacramentelle avec les Latins, étaient commandées par le contexte de la colonisation occidentale qui a suscité une réaction identitaire : les croisades ont produit une rupture dans le discours des chrétiens orientaux les conduisant à introduire une nouvelle considération éthique qui donne la priorité à la préservation de la solidarité
IV Tentative de ré-union : Les concile de Lyon II et Florence
Le nouveau pape, Grégoire X, est élu le 1er septembre 1271. Dès son élection et alors qu’il est encore à Saint-Jean-d’Acre, il envoie une lettre de soutien à Michel VIII et demande à Charles d’Anjou de stopper ses projets belliqueux contre l’Empire.
Pour parer à cette menace, Michel Paléologue s’allie avec le roi de Castille Alphonse X le Sage, qui est un farouche ennemi de Charles d’Anjou, mais c’est le pape qui est d’un grand secours pour l’Empire : ce dernier, alors qu’il était encore à Saint-Jean-d’Acre, annonce à Michel qu’il est tout à fait d’accord pour un projet d’Union entre les deux Églises à trois conditions :
- L’acceptation par l’ensemble du clergé grec de la primauté du pape,
- L’appel ultime dans les affaires religieuses à Rome
- L’hommage au pape dans les prières publiques.
Dès lors, Michel VIII se lance dans une vaste campagne pour persuader les hautes instances de l’Église byzantine d’accepter les propositions du pape. Mais l’empereur rencontre une forte résistance. Pour éviter tout échec dans sa tentative d’unir les deux Églises il confirme à Grégoire X que l’ensemble du clergé est d’accord avec ces propositions.
Une ambassade est envoyée au concile de Lyon.
Le concile de Lyon (1274)
Après avoir été informé par les trois ambassadeurs byzantins de l’acceptation par l’ensemble du clergé grec de la condition pontificale et la lecture de la profession de foi de Michel VIII comportant le « filioque » tant décrié par les grecs [1], l’Union est officiellement déclarée lors de la quatrième section du concile, le 6 juillet 1274.
Une union fragile
Pour Grégoire X c’est une grande victoire qui fait grandir son prestige. Mais, pour l’empire byzantin, la situation est en tout point différente : les hauts dignitaires byzantins sont farouchement contre l’Union.
Cela n’empêche pas Michel VIII de proclamer l’union des deux Églises le 16 janvier 1276 à la chapelle du palais.
L’Union, un but impossible ?
La mort de Grégoire X porte un coup dur à la subsistance de l’Union et la succession du pape est complexe — trois papes en deux ans de janvier 1276 à mai 1278, tous élus sous l’influence de Charles d’Anjou et donc plus ou moins hostiles à l’empire byzantin.
Son successeur Martin IV est complètement acquis à la cause de Charles d’Anjou. Cette élection marque la fin de l’Union (Rejetée par Byzance à Paques 1283).
Conséquences
Causes d’un échec
La base même de l’union, recherchée plus sous la contrainte de nécessités politiques que réellement spirituelle vouait à l’échec une entreprise trop humaine ou les parties n’étaient pas égales et où l’Eglise Romaine a abusée de sa position de force et où le Basileus a été constamment dans le déni de l’opposition de son Eglise à son projet.
Le jugement portée sur la démarche latine par le Père Congar est éclairante : « Manquant de connaissance de l’histoire, peu curieux et peu informé de la pensée des autres, ayant une confiance absolue dans leur formulation théologique et dans le raisonnement qui la fondait, les latins ont manqué d’ouverture à une tradition différente qui de son côté se fixait polémiquement [2] »
Du coté byzantin c’est la structure même de l’Eglise latine qui pose problème qui dans les discutions qui se poursuivront jusqu’au concile de Florence en 1438 et qui peuvent être exprimés en sept point :
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- Les apôtres ont reçu le même pouvoir et ils sont égaux.
- Les apôtres ont tous été envoyés au monde entier, ils ne peuvent donc être liés à un lieu où siège déterminé sauf peut-être le pape pour Rome, siège de Pierre. Mais le pape appartient à l’ordre épiscopal. Il est un évêque comme un autre et ne peut prétendre être l’évêque du monde entier.
- L’autorité est exercée au niveau de l’Eglise totale par les cinq patriarches agissant d’accord et collégialement.
- Dans ces conditions l’Eglise de Rome ne peut prétendre à la qualité de « tête de l’Eglise » comme si elle possédait une qualité différente des autres Eglises.
- En vertu de leur ecclésiologie de communion liée à leur anthropologie de communion, les Byzantins refusent d’admettre un diktat venant de Rome « mater et magistrat » qui leur imposerait quelque chose qu’ils n’aient pas d’abord discuté librement et accepté.
- Les Byzantins refusent la valeur « en elle-même » de décisions papales qui ne seraient pas liées aux canons, et contre toute idée de possibilité, pour le pape, de pouvoir choisir, avoir la liberté de faire ce qui lui plaît » sans référence à la pentarchie.»[3]
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Le concile de Florence (1438)
L’Église d’Orient, qui cherche du soutien pour faire face à la menace turque, donne son accord pour participer à un concile œcuménique sous réserve qu’il se situe sur les bords de la mer Adriatique, afin qu’en cas d’attaque turque, les orientaux puissent retourner rapidement dans leur pays. Nicolas de Cues est envoyé en mission à Constantinople pour persuader les Grecs d’assister au Concile.
Le 5 juillet 1439, la formule d’entente, la bulle « Laetentur coeli », est signée par les représentants latins et byzantins. Le texte grec comporte trente-trois signataires dont l’empereur Jean VIII Paléologue, le futur patriarche de Constantinople Georges Scholarios, Basilius Bessarion, Isidore de Kiev. Néanmoins, des pressions ont été exercées sur la délégation grecque et l’Évêque Antoine d’Héraclée déclarera après le Concile « avoir mal agi en signant l’union », mais y avoir été forcé.
Le 6 juillet 1439, Bessarion, métropolite de Nicée, lit la version grecque du décret d’Union des Églises à Santa Maria del Fiore. La version latine est lue par le cardinal Giuliano Cesarini. Néanmoins, les ecclésiastiques grecs, situés d’une part de l’autel lors de la messe solennelle célébrée devant tout le Concile, refuseront de communier pour la plupart.
Les suites du concile
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- Le métropolite de Kiev, Isidore, a adhéré à l’union des Églises au nom de l’Église russe. De retour à Moscou en 1441, il échoue à imposer l’Union. Le prince Vassili II le fait enfermer dans un couvent et libère l’Église russe de la tutelle des Byzantins.
- De leur côté, Jean VIII Paléologue et Bessarion, devant l’opposition populaire mobilisée par Marc d’Éphèse, échouent à imposer l’union à Constantinople. La masse du peuple byzantin est contre l’Union des Églises et sa proclamation à Constantinople doit être remise jusqu’au 12 décembre 1452.
- Les émissaires de Grégoire IX Mousabegian Catholicos de l’Église apostolique arménienne qui siège à Sis en Cilicie acceptent également la réunion avec l’Église romaine par le décret «Exsultate Deo » du 22 novembre 1439.
- Le 4 février 1442 est signé le décret « Cantate Domino » de réunion entre Rome et l’Église Jacobite d’Alexandrie et de Jérusalem.
- Le Concile est transféré de Florence à Rome. Il s’y tient deux sessions pendant lesquelles sont publiées des décrets concernant la réunion des Jacobites de Syrie (Décret « Multa et admirabilia » du 30 septembre 1444), des Chaldéens et des Maronites (Décret « Benedictus » du 7 août 1445).
Quelques réflexions sur ces échecs
« Dès le retour de la délégation grecque à Constantinople, le « grand écart » entre le petit groupe d’évêques qui ont participé au concile et la masse des orthodoxes devient manifeste. L’union apparaît comme un marchandage qui brade les vérités de foi pour des raisons politiques. Peu à peu, la résistance s’organise. Le mot fameux devenu proverbe (« Mieux vaut voir au milieu de Constantinople le turban turc que la tiare latine ») est le résultat d’une erreur de traduction et d’interprétation : en réalité, le mot employé par l’historien Doukas qui met cette phrase dans la bouche de Loukas Notaras (καλύπτρα) désigne non la tiare latine mais le chapeau italien : le pape n’est donc pas expressément désigné. Il n’empêche que ce proverbe, dans son contresens même, exprime une réalité : les chrétiens en terre d’islam peuvent rester fidèles à leur foi ; la soumission au pape entraine la trahison de la foi (Filioque) et la perte de l’identité grecque et orthodoxe.
Le concile de Florence reste dans les mémoires comme une belle occasion manquée, mais il ne fut pas inutile puisqu’une vraie rencontre a eu lieu »[4]
V L’Eglise de la fin du moyen-âge
La vie intellectuelle en occident est marquée par la scolastique cherchant à concilier la foi et la raison et par l’apparition d’universités dans les grandes villes. La philosophie de Thomas d’Aquin, les peintures de Giotto, la poésie de Dante et de Chaucer, les récits de Marco Polo et l’architecture des grandes cathédrales gothiques -comme celle de Chartres- sont parmi les plus grandes réalisations de cette période qui est aussi celle des grandes famines, de la Peste noire et de guerres qui réduisirent fortement la population de l’Europe occidentale.
L’Église catholique traverse de profondes crises théologiques. Les changements culturels et technologiques de la période transforment profondément la société européenne et ouvrent la voie à la Renaissance et par là même à la remise en cause des bases sur lesquelles reposait la société.
Le monde orthodoxe se développe en dehors de l’occident. Avec la prise de Constantinople en 1453, la Russie devient la puissance dominante en fait, mais non la référence légitime en droit [1].
L’Église de Constantinople sous la domination turque est à la fois persécutée et tolérée ; les quatre patriarcats traditionnels de Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem, connaîtront alors une existence précaire pendant des siècles. En même temps, les grands centres de spiritualité orthodoxe, en particulier les monastères de Sainte-Catherine au Sinaï et ceux de la ” Sainte Montagne “, le Mont Athos en Grèce, continuent de rayonner même sous la domination musulmane.
A la fin du XVème siècle, les deux confessions Catholique et Orthodoxe vont commencer à s’étendre géographiquement de façon indépendante : les catholiques romains vers l’occident par la conquête des Amériques, les Orthodoxes par la poussée russe vers l’Orient
La chrétienté occidentale en crise
La crise de la chrétienté médiévale avait débuté avec l’installation du pape Clément V à Avignon en 1309. Il ne devait s’agir que d’un exil provisoire motivé par les troubles civils qui endeuillaient Rome. Mais le pape, un Français du Midi, s’installe durablement dans sa nouvelle résidence, avec les encouragements du puissant roi de France. Humiliée par Philippe le Bel quelques années plus tôt, la papauté, il est vrai, n’a plus les moyens de défier les souverains comme autrefois, du temps du combat contre l’empereur allemand pour imposer le règne de Dieu sur terre.
Avignon connaît ses plus grands fastes sous le pontificat de Clément VI (1342-1352), un moine de la Chaise-Dieu. Dans le même temps débute la guerre de Cent Ans et survient la Grande Peste. Autant de malheurs que les contemporains ne se font pas faute de présenter comme une punition divine à l’égard du Saint-Siège.
En 1367, Urbain V, ancien abbé de Saint-Victor, à Marseille, se décide à revenir à Rome mais son administration reste à Avignon. C’est seulement en 1377 que son successeur, Grégoire XI, met un terme définitif à la «captivité de Babylone», sur les recommandations pressantes d’une jeune dominicaine mystique, sainte Catherine de Sienne
Le Grand Schisme d’Occident
Grégoire XI meurt le 27 mars 1378, peu après son pénible voyage de retour à Rome.
Le conclave infernal
Excessif, sinon déséquilibré, il soulève immédiatement contre lui la plupart des cardinaux.
Le roi de France Charles V conteste les conditions de l’élection et treize cardinaux, essentiellement français, se réunissent à Anagni, au sud de Rome, pour élire un nouveau pape, Robert de Genève, qui prend le nom de Clément VII et s’en retourne derechef à Avignon.
L’Europe se divise entre «urbanistes» et «clémentistes». C’est le début du «Grand Schisme». Notons qu’il ne touche pas au dogme et laisse indifférents la plupart des catholiques, qui n’ont en matière de religion d’autre interlocuteur que leur curé.
Des chrétiens troublés
Les divisions au sein du Saint-Siège ne vont cesser de s’aggraver dans les années suivantes. Or, la papauté en lambeaux doit faire face au renouveau des hérésies et à la contestation d’illustres théologiens. L’Anglais John Wyclif et le Tchèque Jan Hus appellent à une réforme de l’Église et à un retour aux commandements de l’Évangile.
John Wycliff (1330-1384)
Né dans une famille de petite noblesse du Yorkshire, docteur en théologie en 1372. À partir de 1374, il publie par fascicules une véritable somme théologique dans laquelle il expose sa doctrine :
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- La hiérarchie ecclésiastique : la véritable Église est l’Église invisible des chrétiens en état de grâce. S’ils sont en état de péché mortel, les membres de la hiérarchie, et le pape lui-même, en sont exclus. Wycliff préconise même le tirage au sort de la dignité pontificale. Dieu exerce directement, sans l’intermédiaire du pape, son droit sur les biens terrestres ; les rois n’ont de comptes à rendre qu’à Dieu seul.
- La Bible est l’autorité suprême.
- Les indulgences : un péché ne peut être pardonné sans qu’il y ait expiation et c’est Dieu seul qui pardonne.
- en revanche, Wycliff maintient le dogme de la présence réelle du Christ dans la l’hostie consacrée.
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On reproche à Wycliff de semer le désordre social. Sa doctrine est condamnée en 1382 par trois synodes tenus à Londres par les dominicains, mais lui-même n’est pas excommunié.
Ces mouvements annoncent certaines idées de la Réforme protestante (1395 : Requête des Douze Conclusions demandant au parlement l’abolition du célibat des prêtres, de la transsubstantiation, des prières pour les morts, des offrandes faites aux images, de la confession et de plusieurs autres pratiques considérées comme des abus de l’Église catholique romaine.)
Jan Hus (1369-1415)
En 1402, Jan Hus devient prédicateur à Prague. Influencé par Wyclif, il s’interroge sur les conséquences pratiques de l’obéissance au Christ.
Jan Hus se trouve bientôt à la tête d’un mouvement national de réforme. Il prend publiquement la défense des écrits de Wyclif, condamnés par une bulle pontificale du 20 décembre 1409 qui ordonne leur destruction et l’interdiction de prêcher leur doctrine.
Son excommunication en 1411, sa condamnation par l’Église pour hérésie, puis sa mort sur le bûcher le 6 juillet 1415, lors du concile de Constance, déclenchent la création -et la répression- de l’Église hussite.
Le protestantisme voit en lui un précurseur.
Le concile de Constance (1415)
La restauration de l’autorité pontificale se fait pressante. La France, principale puissance de l’époque, serait susceptible d’y contribuer mais elle est ravagée par le début de la guerre de cent ans et bien incapable d’agir.
Il faut attendre 1415 pour que l’empereur allemand Sigismond, excédé, impose enfin la réunion d’un concile sur les bords du lac de Constance. Pas moins de 70.000 personnes se déplacent pour l’occasion.
A Constance, le collège des cardinaux révoque les trois papes du moment et en élit un et un seul. Celui-ci, Oddone Colonna, appartient à la noblesse romaine. Comme il n’est pas encore prêtre, on répare cet oubli en lui conférant hâtivement le sacrement de l’ordination. Prenant le nom de Martin V, le nouveau pape s’établit définitivement à Rome. Son élection, le 11 novembre 1417, met pratiquement fin au Grand Schisme.
Consécutif à l’exil de la papauté à Avignon, ce conflit de personnes au sein de la haute hiérarchie de l’Église catholique a affaibli celle-ci. Il a permis l’émergence de mouvements contestataires et, à plus long terme, de la Réforme protestante.
Fin du Grand Schisme d’Occident
Un nouveau concile se réunit à Bâle le 3 mars 1431, à l’initiative du nouveau pape en vue de réformer l’Église, voire de réunir les Églises d’Orient et d’Occident, les orthodoxes et les catholiques. Malheureusement, cette réforme ne viendra pas car le pape Eugène IV (1431 à 1447), successeur de Martin V, n’en a cure et dissout le concile.
C’en est bien fini des papes et des antipapes qui se sont entre-déchirés pendant un demi-siècle, entre Rome et Avignon. Il n’empêche que le mal a été fait. La révolution religieuse en germe dans l’Empire allemand triomphera un siècle plus tard avec Martin Luther.
La France en profite…
En publiant le 7 juillet 1438 la «Pragmatique sanction» de Bourges qui lui permet de choisir lui-même les évêques français et de contrôler leurs activités, le roi de France Charles VII profite de la faiblesse du Saint-Siège pour donner corps au «gallicanisme» : au pape ce qui relève de la foi ; au clergé français et à son souverain ce qui relève de l’administration de l’Église française.
La pragmatique sanction de Bourges
Cette ordonnance reprend, avec quelques modifications, une vingtaine de décrets pris par le concile de Constance dans l’esprit duquel elle s’inscrit et donne un statut particulier à l’Église de France.
Elle constitue en quelque sorte une alliance entre le souverain et le clergé, limite les prérogatives du pape en réaffirmant la suprématie des conciles qui ont clairement défini les pouvoirs du Saint-Siège.
Cependant, la Pragmatique Sanction est inacceptable pour le pape, malgré le soutien apporté par Charles VII à Eugène IV contre l’antipape élu par les irréductibles de Bâle. Privé de précieux revenus, le Saint-Siège demande l’abrogation de la Pragmatique Sanction, ou du moins que celle-ci soit sérieusement amendée. On entame des discussions interminables. Le pape envoie sur place son légat Pietro Del Monte, en vain. La Pragmatique Sanction est acceptée par le clergé français et par la plupart des parlements.
Concordat de Bologne (1516)
Le successeur de Charles VII, Louis XI, abolit la pragmatique sanction en 1461, pour ménager Pie II. Il la rétablit en 1464 pour protester contre les excès de la politique pontificale, puis l’abolit de nouveau en 1467 et conclut enfin, en 1472, un concordat qui rendait à Sixte IV des droits illusoires en échange d’un appui diplomatique dans les affaires italiennes.
En 1478, la pragmatique sanction est rétablie par le concile gallican d’Orléans.
Finalement, François Ier et Léon X signent en 1516 le Concordat de Bologne par lequel le roi est reconnu comme le véritable maître de l’Église de France.
VI Prise de Constantinople. la fin de l’Empire Romain d’Orient: 9 mai 1453
Michel VIII Paléologue (+1282) qui s’est emparé du pouvoir (1259) au détriment de la dynastie légitime devient le refondateur de l’Empire byzantin. Toutefois, l’Empire byzantin est loin d’être rétabli dans ses frontières d’avant 1204. Une grande partie de la Grèce est toujours détenue par le despotat d’Épire et par d’autres États francs (la principauté d’Achaïe et le duché d’Athènes).
De même, les Italiens dominent l’espace maritime et les îles de la mer Égée par le biais notamment du duché de Naxos. Ainsi, Byzance n’est plus la grande puissance d’autrefois, mais seulement un État important à l’échelle régionale.
Grâce à une politique étrangère audacieuse mais très coûteuse, Michel VIII parvient à préserver les frontières de l’empire et à empêcher la formation d’une nouvelle croisade occidentale contre son empire, grâce notamment à sa politique en matière religieuse. Il est partisan de mettre fin au schisme de 1054, une vision impopulaire mais qui devient rapidement un enjeu politique majeur. Son fils Andronic II (1282-1328) face aux finances à sec et à une armée en sous-effectif, est contraint de céder peu à peu tous les territoires d’Asie Mineure avant qu’une guerre civile (1321-1328) avec son petit-fils Andronic III Paléologue (1328-1341) ne le chasse du pouvoir.
Le nouvel empereur au tempérament guerrier tente sans succès de sauver les dernières possessions asiatiques de l’empire mais il est défait lors de la bataille de Pélékanon (1329). L’Empire byzantin devient dès lors strictement européen, un fait qui se confirme par la conquête du despotat d’Épire en 1337.
En 1359 l’Empire byzantin se réduit à la Thrace, la Chalcidique, Mistra, quelques îles Égéennes, le sud de la Crimée et Philadelphie en Asie Mineure.
La guerre civile de 1341 à 1347 épuise les maigres ressources de l’empire. Si Jean VI en sort vainqueur, il règne sur un empire exsangue, privé des ressources commerciales qui ont fait la richesse de l’empire et finit par abdiquer en 1354, date à laquelle les Ottomans s’emparent de Gallipoli et s’installent de manière durable en Europe.
Il ne faut que quelques années pour que les possessions de l’Empire byzantin se réduisent à sa capitale, aux environs directs de celle-ci, à Thessalonique (qui chute en 1387) et au despotat de Morée qui s’étend sur une partie du Péloponnèse.
Les empereurs byzantins désormais vassaux de l’Empire ottoman tentent de faire appel à l’aide de l’Occident pour susciter une croisade. Finalement, Bayezid Ier met le siège devant Constantinople en 1394 et Manuel II Paléologue (1391-1425) entame un long voyage en Europe pour demander de l’aide. Une armée occidentale est cependant lourdement vaincue à Nicopolis en 1396 et seule la victoire d’Ankara de Tamerlan sur les Ottomans en 1402 sauve l’Empire byzantin.
L’avènement de Mourad II en 1421 marque la fin de ce bref répit. Pour sauver son empire, Jean VIII Paléologue (1425-1448) fait de nouveau appel à l’Occident et signe l’Union des Églises au concile de Florence pour s’assurer du soutien de la papauté. Toutefois, une nouvelle armée occidentale est défaite à Varna en 1444 et la perspective d’une aide occidentale s’éloigne. L’arrivée au pouvoir de Mehmet II en 1451 met directement en péril la survie même de l’empire. Le nouveau sultan s’est en effet fixé pour objectif la ville de Constantinople.
Après de longs préparatifs, il vient mettre le siège devant Constantinople au début du mois d’avril 1453, et prend la ville le 9 mai 1453.
Constantin XI (1448-1453) est tué lors des derniers combats et en s’emparant de Constantinople, Mehmed II met fin à plus de 1 000 ans d’histoire byzantine.
Après la chute de Constantinople
Dès le troisième jour après la conquête, le sultan entreprend un repeuplement par “importation” de prisonniers.
Toutefois, l’acte le plus important dans cette direction fut assurément le rétablissement du patriarcat grec orthodoxe . Mehmet II avait enquêté dès l’été 1453, durant son séjour à Edirne, sur une personne – de préférence anti-unioniste – capable de se mettre à la tête des chrétiens orthodoxes. Le nom de Georges Scholarios, disciple de saint Marc d’Ephèse, lui avait été suggéré par son entourage. Celui-ci était prisonnier et se trouvait dans un village près d’Edirne.
Le sultan l’a fait aussitôt racheter et emmener à Constantinople. Scholarios fut intronisé le 6 janvier 1454 avec le nom de Ghennadios II.
1492
C’est le moment charnière entre le moyen-âge et la renaissance: Face aux “grands” du royaume et aux chevaliers vont surgir “cinq figures d’aventuriers: le marchand, le mathématicien, l’artiste, le découvreur” [2] qui vont façonner le monde de demain. (Voir le passionnant livre de Jacques Attali: 1492 [3] )
2 janvier : entrée des Rois catholiques dans Grenade, qui marque la fin de la Reconquista.
26 juin : première ascension du Mont Aiguille par Antoine de Ville, seigneur lorrain, de Domjulien et Beaupré et capitaine du roi, sur ordre de Charles VIII, roi de France. Cet exploit est généralement considéré comme l’acte de naissance de l’alpinisme.
18 août : publication de la Grammaire castillane d’Antonio de Nebrija, première grammaire d’une langue vernaculaire écrite en Europe.
12 octobre : découverte de l’Amérique. Arrivée de Christophe Colomb, parti de Palos le 3 août en compagnie des frères Martin et Vincent Pinzón à bord de la Pinta, de La Niña et de la Santa María.
Le 12 octobre, ils atteignent l’île de Guanahani (Bahamas), baptisée San Salvador. Aux Bahamas, Colomb rencontre les Indiens Arawak. Ils vivent dans des communautés villageoises et pratiquent la culture du maïs, de l’igname et du manioc. Ils savent filer et tisser mais ne connaissent pas le cheval et n’utilisent pas d’animaux pour le labour. Ils ignorent l’acier, mais portent de petits bijoux en or aux oreilles.
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